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#NUITDEBOUT, quels sont nos communs ?

Depuis le jeudi 31 mars 2016, le collectif #nuitdebout s'est installé place de la République à Paris, à l'occasion d'une journée de manifestations contre la loi du travail de la ministre El Khomri. J'étais présent ce premier soir, parmi une petite centaine de personnes serrées les unes contre les autres, sous une pluie glacée. Il était question de l'art et la manière de pouvoir rester sur place, s'il fallait rester ou plutôt se retrouver une fois par semaine, comment réagir si la police décidait d'évacuer la place, mais aussi de démocratie et de sa realisation véritable, ou de son abandon pour d'autres formes de société.

Première soirée de la #NuitDebout place de la République, à Paris

Les débats étaient organisés : des tours de parole, 2 mn max par personne, un “scribe” chargé de prendre des notes, un animateur pour résumer la progression de la discussion, rappeler les règles techniques, etc. Les techniques du mouvement américain #Occupy sont utilisées : une gestuelle silencieuse permet d'exprimer accord, désaccord, question sur un point technique, etc. Le tout pour permettre la discussion et les votes, même quand on est vraiment nombreux.

Quatre thématiques principales ont été abordées en ce 31 mars, pendant l'heure où j'ai assisté aux débats :

  • Comment on s'organise pour rester là cette nuit ? Comme il pleut beaucoup, on ne peut pas s'asseoir à même le sol, il faudrait des palettes et des cartons, qui se charge d'en trouver ? La préfecture aurait donné l'autorisation de rester toute la nuit, mais comment réagir si la police veut nous déloger ? Doit-on essayer de rester là toutes les nuits, le plus longtemps possible, ou se donner rendez-vous, par exemple tous les samedis jusqu'au dimanche, aussi longtemps qu'il le faudra pour que le mouvement “prenne” ?
  • La loi El Khomri sur le travail, on est contre, évidemment, mais ce n'est pas pour cela qu'on est là, pas seulement contre cette loi. C'est une goutte d'eau supplémentaire dans un ras-le-bol général de la politique menée par un gouvernement qui se prétend encore “socialiste” alors qu'il a maintes fois fait la preuve de sa soumission à la logique néo-libérale du TINA (https://fr.wikipedia.org/wiki/There_is_no_alternativeThere is no alternative, la doctrine de Thatcher au Royaume-Uni dans les années 1980).
  • Faut-il participer aux élections, ou au contraire les boycotter ? Est-ce qu'il faut jouer le jeu de la démocratie représentative (même si elle est loin, bien loin, d'être parfaite…) ou faut-il s'inspirer de démarches proches de l'anarchie, pratiquer l'auto-gestion et convaincre peu à peu autour de nous pour faire éclater le vieux système ?
  • La devise de la République, “Liberté, Égalité, Fraternité”, est citée à plusieurs reprises, avec cette idée que ces valeurs, elles sont tout de même bien fichues, humanistes, progressistes. Même si le système politique lui-même est plus ou moins pourri et déficient, ces principes-là sont primordiaux et devraient animer la réflexion du mouvement. Comment penser la liberté, l'égalité, la fraternité, “pour de vrai”, et pas simplement comme des mots qui font bien dans des discours politiques de circonstance ?

Un principe déjà présent dès le premier soir, qui ne va pas cesser de s'affirmer par la suite : le mouvement se veut horizontal, c'est-à-dire sans hiérarchie et sans leader charismatique : “Je n’ai nulle envie d’apparaître pour ce que je ne suis pas : le leader d’un mouvement qui n’a pas de leader”, précisera par exemple l'économiste Frédéric Lordon au Monde le 6 avril.

Une petite idée de l'ambiance, malgré le froid de cette soirée, via cette vidéo prise lorsqu'un groupe musical s'est installé dans un coin de la place de la République :

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Quelques jours plus tard, de retour sur la place dans la soirée, je constate que le mouvement a déjà pris de l'ampleur, malgré les interventions musclées de la police chaque petit matin pour déloger tout le monde : il n'y a plus 100 personnes mais plutôt mille, ou pas loin, dont une bonne partie, assis comme dans un amphithéâtre, participe aux débats. Le mouvement s'est étendu à d'autres villes, Lyon, Nice, Toulouse… Un petit air de révolution douce commence à se faire entendre. Douce, dans le sens où il n'y a aucune violence dans ces assemblées, aucun chaos, mais au contraire une volonté affirmée de s'organiser ensemble pour “changer les choses”.

Parmi les slogans que je note le 31 mars au soir, une grande banderole : “Qu'elle soit nationaliste, républicaine ou socialiste, virons la droite !” ; sur un carton qui prend l'eau : “Assemblée citoyenne quels sont nos communs ?!!” ; sur un autre : “Le licenciement c'est l'emploi, la guerre c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage” 1).

Des anars, des utopistes, des musiciens, des gauchistes radicaux, des paysans (la Confédération Paysanne interviendra plusieurs fois les premiers jours sur la place de la République)… Tout ce beau monde un peu hétéroclite ne ressemble pas, en tout cas, aux caricatures qu'en font certains médias.

À ce titre, notons, pour rire même si c'est effarant, la critique franchement absurde du chroniqueur de Radio France, Brice Couturier, lequel est à ce point courroucé par l'initiative #NuitDebout qu'il a préféré quitter un plateau d'une émission en direct plutôt que d'en débattre avec les invités de la dite émission, tous plutôt favorables au mouvement (quelle indécence !).

Le 5 avril, donc au sixième jour du mouvement, Brice Couturier twitte donc, sans rire : “La nuit debout, pâle copie gauchiste des “veilleurs” catholiques intégristes, existe surtout dans la tête des journalistes.”

Le fiel de la remarque n'a d'égal que sa bêtise. Soit notre chroniqueur sait très bien qu'il dit une énormité, mais associer ses ennemis idéologiques à l'extrême-droite est trop tentant malgré tout, soit il croit vraiment que le mouvement s'inspire des "veilleurs" catholiques issus des rangs de la Manif pour Tous de 2013, et alors c'est la preuve de son insondable ignorance à propos de ces petites choses négligeables que sont les mouvements Occupy Wallstreet aux États-Unis ou les Indignados en Espagne, tous deux nés en 2011, parallèlement au Printemps arabe.

En tout cas, la méfiance mêlée de mépris d'un Brice Couturier pour le mouvement est symptomatique : la #NuitDebout prend de court les experts en mondanités médiatiques aptes à disserter sur tout et n'importe quoi, mais incapables de percevoir l'intérêt de mouvements assembléistes et communs comme celui-ci. Peut-être parce qu'ils menacent quelque peu un certain ordre établi, au sein duquel ces chroniqueurs de la vie sociale et politique française se sentent tout à fait à l'aise ?

~~LINKBACK~~ ~~socialite~~ ~~DISQUS~~


1)
On aura reconnu une parodie de la célèbre maxime du système totalitaire dépeint dans le roman de Georges Orwell, 1984 : “La guerre c'est la paix, la liberté c'est l'esclavage, l'ignorance c'est la force”
  • /home/gregorygig/www/data/attic/ecolopol/nuitdebout.1460201033.txt.gz
  • Dernière modification : 2016/04/09 13:23
  • de Grégory Gutierez