La psychologie est-elle une science ? Alain Lieury

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Paru en 1997, cet ouvrage se propose de parcourir, en 125 pages, les découvertes et les progrès de la psychologie scientifique. J’ai acheté l’ouvrage en partie pour son titre, qui sous-entendait qu’il y avait polémique sur la question de la scientificité de la psychologie tout entière. Joseph B. Rhine, le fondateur du premier laboratoire universitaire de parapsychologie, à l'université de Durham à la fin des années 1920, comptait “scientifiser” et moderniser la vieille métapsychique (“psychic studies” en bon anglais) en la raccrochant au train de la psychologie scientifique. Il est donc intéressant de savoir en quoi la psychologie elle-même peut être objet de questionnement sur sa propre scientificité.

Le livre est organisé en deux parties : d’abord, “La psychologie comme science”, qui présente les débuts de cette discipline, ses spécificités face à la psychanalyse freudienne (remise à sa place dans les premières pages), et qui insiste sur la diversité des recherches actuelles ; puis une seconde partie, “L’homme : entre la bête et l’esprit”, qui résume les principaux acquis et les méthodes les plus utilisées en psychologie.

On apprend donc pas mal de choses, et de manière vraiment claire et accessible. Pêle-mêle : le détail des fameuses expériences de Pavlov sur les réflexes conditionnés ; la soumission à l’autorité qui peut aller jusqu'à transformer des personnes tout à fait normales en de terribles bourreaux ; quelques exemples d’enfants élevés par des bêtes, et qui semblent de ce fait avoir perdu toute humanité et toute capacité d’apprentissage (on ne naît pas humain : on le devient au contact des autres), etc.

Un chapitre résume les avancées de la psychologie à propos des tests de personnalité. Rien de plus difficile en effet que de mesurer “objectivement” des personnalités humaines. L'expression même, “mesurer la personnalité humaine”, ressemble à un utopique projet poétique, tant le terme de “personnalité” est sujet à interprétations. Et pourtant certains tests standardisés semblent relativement efficaces, en ce qu'ils permettent de dresser une “carte du caractère” qui permet de circonscrire les grandes tendances (intellectuelles ? mentales ? réflexives ?) d'un individu :

Durant ces dernières décennies, les recherches ont mis en évidence différents facteurs, mais les théories naviguaient entre celles qui n’en trouvaient que deux pour expliquer la personnalité et celles en présentant seize ou plus. Or, les recherches de ces dernières années convergent autour de cinq grands facteurs, d’où le nom de théorie des Cinq Grands, ou “Big Five”. Ce courant s’appuie sur une méthode développée dans les années 30, et fondée sur l’idée que les multiples facettes de notre personnalité sont bien représentées par le vocabulaire édifié au cours des siècles : gentil, sérieux, sentimental, agressif… En enlevant les synonymes et les états instables ou vagues, quelques centaines de mots sont conservés (environ quatre cents) à partir desquels des questionnaires sont construits. […]. Afin de se préserver de la subjectivité (et de la non-sincérité) des sujets, les questionnaires sont également remplis par des camarades pour vérifier si les individus répondent assez objectivement. Au total, les cinq grands facteurs de notre personnalité, également désignés par leur numéro, seraient donc : l’extraversion (facteur I), le caractère agréable (facteur II), le caractère consciencieux (facteur III), la stabilité émotionnelle (facteur IV) et l’ouverture d’esprit (facteur V), chacun étant doté de son opposé. 1)

Hélas, à un moment l'ouvrage devient du grand n’importe quoi pendant quelques pages. Un court chapitre traite en effet des débuts tâtonnants de la discipline, dans les années 1850-1900 : “Esprit, es-tu là ?”. Un sous-chapitre avertit d'une terrible dérive aux débuts de l'histoire de la psychologie savante : “La psychologie expérimentale, entre psychophysique et tables tournantes !” (le point d'exclamation se veut lourd d'implicites). L'auteur nous explique doctement que les premiers psychologues ont eu du mal à se défaire d’une certaine vision spiritualiste du monde qui était monnaie courant à l'époque (certes). C’est que la psychologie se déploie à la grande époque du Spiritisme moderne, et que parmi les savants qui s'emploient à faire de la psychologie une science à part entière, certains prennent ces histoires de revenants au sérieux. L'auteur semble regretter cet état de fait, mais c'est considérer les préoccupations et les convictions de ces savants à l'aune de notre science de ce début de 21ème siècle (fin de 20ème siècle, à l'époque de la publication), c'est-à-dire après plus de 100 ans de controverses et de travaux sur ces sujets.

Le sous-chapitre démarre d'ailleurs par un premier amalgame, entre le Spiritisme moderne d'une part et le magnétisme animal d’Anton Mesmer d'autre part :

En France, le spiritisme fut longtemps l’objet d’intérêt et, à l’aube de la Révolution Française, la reine Marie-Antoinette aimait participer aux séances de transes qu’organisait Franz Anton Mesmer autour de son baquet d’eau au pouvoir magnétique. Le spiritisme américain naît en 1848 avec les deux jeunes sœurs Fox (…) 2)

Quelques lignes plus loin, on apprend d'ailleurs que les sœurs Fox, en 1848, discutaient avec “l’esprit d'un ancêtre familial”. Il s'agissait en réalité de l'esprit d’un ancien habitant de la maison dans laquelle la famille Fox venait de s’installer, et pas du tout un ancêtre familial, voir par exemple cette page qui cite un article de presse d'époque : “The Fox sisters declared they learned to communicate with the spirit of a man, and that he told them he had been murdered and buried in the cellar. Repeated excavations failed to locate the body and thus give proof positive of their story.”.

Mais le pire arrive (c’est moi qui souligne) :

Le spiritisme se propage en Europe et le premier congrès de la société de psychologie physiologique regroupe des médecins (Charcot, Janet), des physiologistes et des psychologues. Le secrétaire général est le physiologiste Charles Richet, défenseur du Spiritisme, ce qui explique que le congrès laisse une large part aux thèmes spirites, comme la télépathie. L’enthousiasme spirite permet la création de l’Institut psychique international, pour l’étude scientifique des phénomènes paranormaux ; on y recevait tout médium prétendant avoir des pouvoirs, mais les physiciens et physiologistes de l'époque étaient capables de les photographier à leur insu, avec des pellicules infrarouges détectant leurs artifices de prestidigitateurs. 3)

On apprend donc, en deux pages :

  • Que Mesmer faisait partie de la vague spirite… (pourtant postérieure à sa propre aventure !) ;
  • Que les soeurs Fox discutaient avec le fantôme d’un ancêtre de la famille ;
  • Que Charles Richet était un défenseur du Spiritisme. Le pauvre ! Lui qui bataillait à coups d’arguments conceptuels avec un autre grand savant de l'époque, Sir Oliver Lodge, véritable spirite lui, dans les premiers numéros de la Revue Métapsychique de l’IMI, et justement pour contrer l'interprétation spirite des phénomènes de “médiumnité intellectuelle” constatés pendant les séances spirites.
  • Qu’un énigmatique “Institut psychique international” fut créé à cette époque où l'on dézinguait les prétentions des médiums. Aucune date de création n'est précisée, et c'est bien normal puisque cet institut-là n'a jamais existé. Il s’agissait en fait, on s’en doute bien, de l’Institut Métapsychique International (fondé notamment par Charles Richet, qui n'était pas spirite, et par Camille Flammarion, qui, lui, l'était).
  • Que les physiciens et physiologistes de l’époque (lire : les gens sérieux !) découvraient les fraudeurs grâce à des “pellicules infra-rouge”. Visiblement, l'auteur ne sait pas que c'est le Dr. Eugène Osty, le deuxième président de l’Institut Métapsychique International, qui mit au point un système de sécurité par rayons infra-rouge pour surprendre les fraudeurs, ou les phénomènes authentiques, s'ils venaient à se produire, et ce au bon moment (il s'agit bien de rayons infra-rouge, et non de pellicules). C'est d'ailleurs dans le cadre de son année d’expériences avec le médium Rudi Schneider, en 1929, que le Dr. Osty crut avoir mis à jour une “force psychique”, invisible mais capable d'absorber en partie les rayons infra-rouge, qui aurait pu expliquer les phénomènes de “médiumnité physique” constatés lors des séances 4).

Voilà quelques erreurs qui font tout de même assez tache dans un livre par ailleurs si attachant. Surtout quand on nous dit en introduction que l’auteur “enseigne les bases de la psychologie scientifique” à l’université de Rennes-II.

Pire, l'auteur précise qu'il s'inspire, pour ce chapitre sur la psychologie et les tables tournantes, des travaux de l’historienne de la psychologie François Parot, qui aurait, la première, “mis à jour certains faits à travers les actes des premiers congrès et des publications de l’époque”. Or, en regardant la bibliographie donnée en fin de volume, on découvre que cette chercheuse a co-signé une Introduction à la psychologie : histoire et méthodes, aux PUF, en 1994, dans la collection “Premiers cycles”. Il s'agit donc un manuel destiné aux étudiants en psychologie. Si les quelques pages de Lieury sont bien fidèles aux travaux de Parot, alors ces pauvres étudiants doivent recevoir un enseignement pour le moins approximatif, pour ne pas dire totalement biaisé, à propos des premières décennies de recherches et d'avancées de leur discipline.

Malgré ces grossières erreurs (visiblement circonscrites à l'aspect historique des études en psychologie), il s'agit d'un livre finalement intéressant, autant pour ses synthèses bien menées de moments clés de l'histoire de la discipline, que parce qu'il est parfaitement emblématique de l'ostracisme dans lequel est maintenue l’histoire de la métapsychique et de la parapsychologie dans les universités françaises.


1)
Alain Lieury, La psychologie est-elle une science ?, 1997, Paris, Flammarion, coll. Dominos, p.62-65
2)
ibid, p.77
3)
ibid, p.78
4)
voir à ce sujet les chapitres correspondants de mon ouvrage Les Aventuriers de l'Esprit, paru en 2006
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  • de Grégory Gutierez