Le dossier militaire de Jessie Marcel : des petits arrangements avec la réalité ?

(Article publié sur mon site www.roswell-fr.org en juillet 2003)

Selon Robert Todd, les dossiers militaires de Jesse Marcel montrent que le major aurait largement menti sur son passé et ses faits de guerre. Dès lors, comment faire confiance à son témoignage sur les débris retrouvés en juillet 1947 ?

Le major Jesse Marcel, officier de renseignement à la base de Roswell en 1947, est le témoin le plus célèbre de l'Evénement de Roswell.

Un matin de juillet, le shériff Wilcox de la ville de Chaves County, contacte la base pour annoncer qu'un fermier du coin, William “Mack” Brazel, est venu lui dire qu'il a trouvé les débris d'un “flying disc” dans le champ attenant à son ranch (le ranch Foster). C'est Marcel qui se rend alors sur place, en compagnie de Mack Brazel, afin de recueillir les débris et de les identifier. Le 8 juillet, la base publie un communiqué de presse dans lequel on peut lire qu'un de ces mystérieux “flying disc” que de nombreux témoins disent avoir observé ces dernières semaines, a enfin été récupéré. Mais en fin de journée, la base envoie une seconde dépêche aux journaux : les débris en question sont en réalité ceux d'un ballon météo.

Voilà à peu près toute l'histoire de Roswell en cette année 1947. Mais les choses vont radicalement changer à la fin des années 70, grâce à Jesse Marcel.

En 1978, le physicien et ufologue Stanton Friedman rencontre Jesse Marcel à la fin d'un meeting sur les ovnis (il raconte cette anecdote dans son livre Crash at Corona). Marcel lui dit qu'il y a longtemps, dans les années 40, il avait pu avoir entre les mains les débris d'une soucoupe volante. Friedman ne prend pas vraiment au sérieux cette histoire un peu floue… Mais l'année suivante, l'écrivain William Moore retrouve des coupures de presse à propos de Roswell qui mentionnent Jesse Marcel (ces infos sont tirées du site Roswell Files). A partir de là, les ufologues commencent à vraiment s'intéresser à cette histoire de soucoupe écrasée, et Jesse Marcel, ancien militaire entre 1942 et 1950, à dont la carrière semble excellente, devient le témoin n°1 de l'affaire…

En 1979, Jesse Marcel accorde un entretien au journaliste Bob Pratt, apprécié à l'époque pour la qualité de ses articles. L'entretien va paraître en une version résumée dans un tabloïd, le National Inquirer, en février 1980 (la version complète de l'entretien est disponible dans le livre de Karl Pflock, Roswell, inconvenient facts and the will to believe).

Dans cet entretien, Marcel fait d'étonnantes déclarations. Il raconte que les débris ne ressemblaient à rien de connu ; qu'ils couvraient une surface d'un kilomètre de long ; qu'il ne réussit pas à les brûler avec un briquet ; que de curieux hyéroglyphes étaient visibles sur certains débris ; que certaines barres, légères et comme faites en bois, ne pouvaient pourtant pas être rompues, etc. L'affaire de Roswell débute véritablement à ce moment-là…

Dans les années 90, l'histoire de Roswell est devenue la plus discutée et la plus médiatisée parmi les ufologues. L'un d'eux, un chercheur sceptique américain, Robert Todd, va publier, à partir de 1995, une série de lettres d'informations au titre peu diplomatique, The Cowflop Quarterly (le journal de la bouse de vache !), dans lequel il va publier les résultats de son travail critique sur l'affaire.

Dans le numéro du 8 décembre 1995 de cette publication (http://www.roswellfiles.com/pdf/KowPflop120895.pdf), Robert Todd discute de la réalité de certaines des affirmations de Jesse Marcel, issues de l'entretien avec Bob Pratt. Il titre son article, sans diplomatie aucune là non plus, “Jesse Marcel : héros populaire ou mythomane ?”. Les critiques de Robert Todd ne portent pas sur les déclarations de Marcel concernant les débris de Roswell, mais sur le passé militaire de Jesse Marcel, et ce à partir des 200 pages de ses archives militaires, dont Todd a pu obtenir la copie. Voici donc un résumé des critiques faites par Robert Todd, et qui prouvent selon lui que Jesse Marcel est loin d'être le témoin impartial et objectif que l'on présente habituellement…

Dans son entretien avec Bob Pratt, Marcel affirme être déjà un aviateur confirmé avant son entrée dans l'armée en 1942. Il se décrit comme pilote privé qui aurait commencé à voler dès 1928, pour cumuler en tout 8000 heures de vol, dont 3000 en tant que pilote.

38 ans plus tôt, en janvier 1942, le jeune Jesse Marcel remplit un formulaire pour s'engager dans l'armée, une sorte de CV. Et en février de la même année, il remplit le questionnaire militaire des officiers de réserve, (Classification Questionnaire for Reserve Officers).

Ni dans son CV militaire, ni dans ce questionnaire, Marcel ne mentionne une quelconque expérience en tant que pilote d'avion. Pourtant, dans le questionnaire de février, il décrit jusqu'à ses centres d'intérêts et ses loisirs les plus anecdotiques : photographe amateur, radio amateur, comédien dans quelques pièces pendant ses études, et même un peu de chant. Ce qui se rapproche le plus d'une expérience ayant trait à l'aviation, c'est son travail pour la Shell Oil Company qu'il occupe encore à l'époque de son recrutement militaire. Il avait pour tâche de préparer des cartes à partir de photographies aériennes.

Robert Todd a aussi tenté de retrouver le diplôme de pilote civil qu'avait dû obtenir Jesse Marcel, mais le bureau des certifications de pilotes de la FAA, qui possède des diplomes de pilotes civils remontant jusqu'à l'époque héroique des frères Wright, n'a pu retrouver aucun diplôme au nom de Jesse Marcel.

Le “résumé de carrière d'officer de réserve” rempli par Marcel en novembre 1947 indique notamemnt “heures de vol : zéro”. Enfin, un rapport sur Jesse Marcel signé par le général Ramey en 1948, et par ailleurs tout à fait élogieux, précise que Jesse Marcel n'est pas un pilote, et que cela limite quelque peu sa carrière au sein de l'US Air Force.

Donc, ni en 1942, alors qu'il postule pour entrer dans l'armée, ni en 1947 ou 1948, alors qu'il a participé entre temps à la IIème Guerre Mondiale, Jesse Marcel ne fait mention d'une quelconque compétence de pilote…

Dans son entretien en 1979 avec Bob Pratt, Jesse Marcel déclare avoir reçu 5 médailles pour avoir abattu 5 avions ennemis pendant la guerre, en tant que mitrailleur à bord d'un bombardier B-24.

D'après Robert Todd, on ne trouve aucune trace d'un entrainement en tant que mitrailleur à bord d'un bombardier dans le dossier militaire de Marcel. Pourtant, c'est un travail vraiment physique qui demande une sévère préparation. Sans doute, admet Robert Todd, Jesse Marcel a-t-il eu l'occasion, une ou deux fois, de tenir le manche d'un bombardier, comme cela se pratiquait pendant la guerre (il fallait que chaque membre du personnel puisse se familiariser un minimum avec les commandes et les contrôles de ces forteresses volantes, au cas où le pilote ou le co-pilote venaient à être tués en plein vol). Mais Marcel était-il bien mitrailleur ? Cela aussi n'est pas confirmé par ses dossiers, alors que selon Todd, on y apprend que Marcel utilisa une carabine, un fusil de calibre 22 et une mitraillette Thompson. En outre, lors d'un test de tir avec pistolet, il reçut la note très moyenne de 44% de réussite, ce qui n'en fait pas un as du tir… Son expérience des armes à feu semble s'arrêter là.

Quid alors, des 5 médailles ? En réalité (selon Robert Todd), les archives militaires montrent qu'il a reçu 2 médailles de l'air. Et dans les raisons de ces trophées, aucune mention d'avions abattus… Il s'agit de titres guerre pour services rendus en 1943 et 1944 dans une base militaire du Pacifique.

Dans son entretien avec Bob Pratt, Marcel prétend qu'il avait rédigé un rapport en 1949, à propos des premiers essais nucléaires russes. Ce fut d'ailleurs lui-même qui écrivit le communiqué de presse lu par le président Truman à la radio pour annoncer cette terrible nouvelle au peuple américain.

Problème : selon Robert Todd, Truman n'a jamais fait d'annonce radiophonique sur ce sujet. La Maison Blanche avait publié un communiqué de presse écrit. Pire, dans les archives (à l'époque secrètes) qui sont aujourd'hui disponibles sur cette affaire, le nom de Jesse Marcel n'apparaît nulle part, même pas dans les documents du groupe chargé de l'évaluation des données recueillies à propos des essais russes.

Selon Robert Todd, Jesse Marcel a déclaré à plusieurs “enquêteurs” (les guillemets sont de Todd, qui ne précise pas de quels auteurs il s'agit) qu'il avait obtenu un diplôme de physique de l'université de Washington, et qu'il avait suivi des cours dans les universités du Wisconsin, de l'Ohio, de New York et enfin de Louisiane (ouf !). Dans ses dossiers militaires, Marcel précise cependant qu'il a juste suivi des cours de physique, d'anglais et de mathématiques en étudiant libre (“non credit courses”) à l'université de Louisiane, et ce pendant une année ou un an et demi (la durée change d'un document à l'autre du dossier militaire).

Robert Todd demande donc une copie du dossier d'étudiant de Jesse Marcel à l'université de Louisiane. L'administration lui répondu qu'elle ne retrouve aucun étudiant du nom de Jesse Marcel dans ses archives. La même réponse est donnée à Todd du côté de l'université de Washington… Pourtant, Marcel prétendait y avoir obtenu un diplôme de physique !

Pour Robert Todd (qui pointe encore d'autres anomalies dans sa revue), la question est réglée : Jesse Marcel, qui avait pourtant une carrière tout à fait honorable et était fort bien noté de ses supérieurs, fut prit de mythomanie lorsque Bob Pratt et d'autres ufologues vinrent lui poser des questions sur sa soucoupe, avec des yeux pleins d'espoir et des questions l'encourageant certainement à améliorer ses souvenirs. (Rappelons d'ailleurs que Stanton Friedman rencontra Jesse Marcel en 1978 à l'occasion d'une conférence sur les ovnis, ce qui montre que Marcel s'intéressait aux ovnis à ce moment-là, ce qui aurait pu le pousser à repenser son aventure de juillet 1947.)

J'ai exposé ces critiques de Robert Todd, en juin 2003, sur une liste de discussion française consacrée aux ovnis. Je continue à penser aujourd'hui que les réponses que l'on me fit ne permettent pas de disculper Jesse Marcel de certains mensonges :

- Si Jesse Marcel n'a mentionné aucune expérience de pilote lors de son enrôlement dans l'armée, c'était parce qu'il ne souhaitait pas devenir pilote, puisqu'il voulait travailler dans le renseignement… (mais alors, pourquoi postuler dans l'Armée de l'Air ? Et comment expliquer ce document de 1947 où Marcel précise n'avoir aucune heure de vol à son actif ?)

- Si le brevet de pilote d'avion de Jesse Marcel n'a pas pu être retrouvé, c'est parce qu'à cette époque (l'entre-deux guerres), aux Etats-Unis, on pouvait piloter des avions sans aucun brevet, cette pratique était courante… (rappelons les chiffres : 3000 heures de vol en tant que pilote, entre 1928 et 1942, soit 214 heures de vol par année…)

- Si le nom de Jesse Marcel ne figure pas dans les dossiers concernant les premières explosions atomiques russes… c'est parce qu'il a dû se perdre dans le labyrinthe administratif de la paperasserie militaire !

- Si les médailles de Jesse Marcel ne sont pas au nombre de 5, et qu'elles n'ont visiblement rien à voir avec le prétendu exploit d'avoir abattu des avions ennemis, c'est parce que c'est Bob Pratt qui aurait imaginé cet exploit pour rendre son article du National Enquirer plus intéressant… Jesse Marcel n'aurait jamais dit ça lui-même… (mais alors, que penser du reste des propos que lui fait tenir Bob Pratt, notamment sur les débris ? Et pourquoi Marcel, qui fut interrogé par d'autres enquêteurs par la suite, n'a-t-il jamais protesté contre cette manipulation honteuse de ses propres paroles ?)

Personnellement, ces réponses me semblent bien faibles, devant le travail d'investigation méthodique et complet de Robert Todd. Il s'agit de suppositions, qui semblent n'exister que pour dédouaner Jesse Marcel à peu de frais… Et cela fait tout de même pas mal de suppositions gratuites…

La question de la personnalité de Robert Todd a aussi été posée. D'après plusieurs personnes, dans ses correspondances privées, ce Robert Todd semble particulièrement grossier. D'ailleurs, il vivrait toujours chez ses parents… Et puis, le pauvre homme serait alcoolique (n'en jetez plus !).

La grossiéreté de Robert Todd, dans ses échanges privés, ne fait aucun doute. J'en ai eu personnellement la confirmation par un ufologue américain fort estimé, auteur de quelques ouvrages incontournables, qui n'a cependant pas souhaité être cité. Sa raison est d'ailleurs révélatrice : il ne veut plus entendre parler de cet énergumène qu'est Robert Todd !

On constate d'ailleurs facilement, en lisant la prose de Robert Todd, qu'il ne porte pas les ufologues dans son coeur, en particulier les Roswelliens. Pour lui, l'ufologie est une secte, et les ufologues roswelliens en constituent la pire espèce (lettre adressée au Saucer Smear de Jim Moseley, édition du 25 juin 1996).

En juin 1998, Robert Todd déclare d'ailleurs sur la liste anglo-saxonne UFO Updates que pour lui, l'affaire Roswell est désormais terminée, et qu'il se retire des débats (e-mail consultable ici).

Mais en aucun cas, cette attitude pour le moins cavalière de Robert Todd, face à ses adversaires ou dans ses correspondances privées, ne saurait être un argument contre son travail sur la carrière de Jesse Marcel. Ce n'est pas parce que Robert Todd dit des grossiéretés à ses correspondants, que Jesse Marcel est automatiquement disculpé…

A moins de considérer Robert Todd comme un vieux fou alcoolique qui aurait inventé de toutes pièces le dossier militaire de Jesse Marcel, ou qui l'aurait manipulé pour en faire l'instrument de sa vindicte.

Mais cette spéculation ne peut tenir que si Todd avait été le seul enquêteur a avoir eu connaissance de ces archives. Bien au contraire, il semble qu'il ait rapidement partagé ses données avec d'autres chercheurs, comme par exemple avec Bruce Hutchinson, qui déclare avoir reçu le dossier de Jesse Marcel de la part de Robert Todd.

Selon le même Bruce Hutchinson (e-mail de décembre 2002 sur UFO Updates), on doit d'ailleurs à Robert Todd quelques éléments majeurs du débat sur Roswell : outre le dossier militaire de Marcel, c'est Todd aussi qui découvrit l'existence du projet Mogul, qui prit contact avec Charles Moore (l'un des responsables de ce projet à l'époque), ou qui dévoila que le mémo Schulgen alors en circulation était une version altérée du véritable document (voir l'article correspondant).

Une chose est donc à peu près certaine : quelque soit l'attitude de Todd en privé, et le peu de considération qu'il porte aux partisans du crash d'une soucoupe à Roswell, ses enquêtes sur le dossier Roswell semblent incontournables, et de qualité. On peut discuter de ses conclusions, mais on ne peut pas passer outre sa contribution…

Et c'est là le point important : s'il est avéré que Jesse Marcel a volontairement déformé et exagéré de nombreux points de sa carrière militaire (par ailleurs excellente), à partir de 1979, devant les ufologues venus l'interroger, que valent alors ses déclarations sur les incroyables propriétés des débris ramassés dans le ranch du fermier Mack Brazel en juillet 1947 ?

Ne peut-on pas légitiment imaginer qu'ici comme ailleurs, il a quelque peu romancé les faits ?

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  • de Grégory Gutierez