OVNI : quand le COMETA paraît...

(Article publié dans le n°48, janvier 2000, du magazine Science Frontières.)

Depuis quelques mois déjà, le petit monde de l’ufologie française s’agitait de rumeurs : un rapport officiel sur les OVNI allait bientôt être rendu public. On parle alors des plus hautes instances du gouvernement, d’une commande du Président de la République, peut-être même d’une lecture publique à l’Assemblée Nationale… En tout cas, ce sera une bombe, une vraie, comme l’ufologie française n’en avait jamais connue. Les «hommes de l’ombre» - qui naturellement savent tout - allaient enfin lever le voile…

Fin 98, lors d’un débat sur les OVNI organisé par l’association O.N.D.E.S à Paris, dans une salle de l’Ecole des Mines, et faisant notamment intervenir l’ufologue Gildas Bourdais, une personne prend la parole dans le public : c’est Alain Boudier, ufologue ayant participé à la publication du hors-série VSD de l’été 98 «OVNI : les preuves scientifiques», qui publiait notamment des témoignages de pilotes de l’armée de l’air, ainsi qu’une discussion entre spécialistes «top credibility». Ce qu’il annonce a de quoi étonner l’assemblée d’amateurs curieux réunis en ce jour : lui-même et quelques autres ont déjà été auditionnés par des officiels, l’armée française se préoccupe de la question et surtout… «d’ici un an, toute la lumière sera faite». Le public hésite entre le frisson à la X Files et l’incrédulité dubitative devant ce monsieur aux airs importants qui ne ménage pas ses effets de style…

Un an plus tard, en juillet 99, toute la lumière est faite, effectivement. Le groupe secret apparaît au grand jour, il s’appelle COMETA, s’est constitué en association loi 1901 et a chargé la rédaction de VSD-Hors série, menée par le journaliste Bernard Thouanel, de publier le rapport auquel ont abouties ses 3 années d’enquête. Alors ? Qu’en est-il de ce fameux rapport, si important que les yeux présidentiels daignèrent - paraît-il - se poser sur lui ?

Un bandeau sur fond rouge avertit en couverture : «Les OVNI et la Défense, le rapport confidentiel remis au président de la République et au Premier ministre». Le rapport lui-même est précédé d’une préface rédigée par André Lebeau, ancien président du CNES, se terminant par une réflexion sur le rôle de la croyance dans la démarche scientifique : «Ce que croit un scientifique est important dans la conduite de sa recherche parce que c’est cela qui le motive et qui l’anime. Mais sur le résultat de sa recherche, sa croyance n’a aucune importance et, s’il est rigoureux, aucun effet».

Suivent deux préambules. Le premier est signé par le général Bernard Norlain, ancien directeur de l’IHEDN, le prestigieux Institut des Hautes Etudes de la Défense Nationale. On peut y lire que «la quasi-totalité des membres [du Cometa] ont, ou ont eu au cours de leur carrière, des responsabilités importantes pour la défense, l’industrie, l’enseignement, la recherche, ou diverses administrations centrales.» Il se termine par une envolée (presque) lyrique : «Puisse ce nouveau rapport, (…) donner une impulsion nouvelle à nos efforts nationaux, et à une indispensable coopération internationale. L’IHEDN aura alors bien servi la nation et, peut-être, l’humanité.»

Le deuxième préambule est rédigé par Denis Letty, général de l’Armée de l’Air, président de l’association, et inclus une liste d’une dizaine de membres du COMETA «qu’il [lui] est possible de citer.» Le général Letty explique que : «bien qu’aucune menace caractérisée n’ait été perçue à ce jour en France, il a semblé nécessaire à d’anciens auditeurs de l’IHEDN de faire le point sur le sujet. Associés à des experts qualifiés provenant d’horizons très variés, ils se sont regroupés pour former un comité privé d’étude approfondie baptisé COMETA.»

Le COMETA est donc bien une association privée, et non pas l’IHEDN lui-même, même si la dernière phrase du général Norlain peut semer le doute chez le lecteur.

Le rapport lui-même se compose de 3 parties : Faits et témoignages, Le point sur les connaissances, Les OVNI et la Défense, le tout sur 70 pages suivies de 7 annexes sur une douzaine de pages et enfin d’une bibliographie et d’un glossaire. Faits et témoignages regroupe une quinzaine de cas de rencontres rapprochées, principalement issues de pilotes civils ou militaires, dont 9 cas français et 6 cas étrangers (Angleterre, Brésil, USA, Russie, Iran).

On ne s’étonnera pas de trouver parmi les cas retenus ceux de Trans-en-Provence en 1981 ou de Valensole en 1954, des classiques de la littérature ufologique (cf. bibliographie). Au bout du compte, les cas français exposés proviennent presque tous des archives du SEPRA (Service d’Expertise des Phénomènes de Rentrée Atmosphérique), ou plutôt de celles de son ancêtre le GEPAN (Groupe d’Etude des Phénomènes Aériens Non Identifiés). La terminologie utilisée tout au long du rapport est d’ailleurs celle que cet organisme avait établi en son temps : le terme «OVNI» est remplacé par celui de «PAN», Phénomène Aérien Non identifié, divisé en 4 catégories A, B, C et D selon le degré d’étrangeté du cas après enquête. Les «PAN D» sont les cas restés inexpliqués.

Parmi les cas étrangers, on s’étonne de trouver la relation d’une observation russe dont la source est la revue Aura Z, laquelle publiait aussi bien sur les OVNI que sur «les phénomènes métapsychiques bio-énergo-informationnels» ou sur «les hallucinations prises en photo»… L’article d’Aura Z dont est tiré le cas exposé dans le rapport est une suite de 5 observations communiquées, dixit Aura Z, «par un groupe d’officiers (russes) de haut rang qui ont voulu garder l’anonymat». Il tient sur 8 pages, en comptant les illustrations… Peut-on vraiment inclure de simples témoignages anonymes dans un rapport tel que celui du COMETA, prétendant présenter les cas les plus solides à travers le monde ?

La deuxième partie, le point sur les connaissances, aborde les méthodes de travail du GEPAN/SEPRA, les résultats obtenus et les diverses hypothèses avancées pour expliquer l’existence des OVNI : «nous pouvons établir clairement que, depuis 1942 jusqu’en 1995, au moins 500 observations bien documentées et avérées de PAN D aéronautiques, dont près de 20% sont des cas «radar/visuel», ont été recensées dans le monde. Ils apportent la preuve d’une réalité physique de phénomènes aux évolutions paradoxales. (…) Certains PAN D paraissent bien être des machines volantes totalement inconnues, aux performances exceptionnelles, guidées par une intelligence naturelle ou artificielle.» (p.33-34) Mais là aussi, on tique quelque peu à la lecture de certains passages : «Le SEPRA a, pour l’étude des OVNI, une vocation plus restreinte que celle du GEPAN, dont le Conseil scientifique a terminé sa mission.»

Terminé sa mission ? A lire les critiques de Christian Perrin de Brichambault, qui fit partie de ce comité scientifique et s’insurgea de la manière dont le GEPAN fut promptement liquidé (cf. SF n°22), ou bien la narration de Jean-Pierre Petit dans son livre Enquête sur les OVNI, ou enfin l’enquête du journaliste Robert Roussel, OVNI, les vérités cachées de l’enquête officielle, on est surpris du raccourci utilisé : non, le conseil scientifique du GEPAN n’a pas terminé sa mission, il a été tout simplement évincé, puis dissout, à l’insu de la plupart de ses propres membres…

Enfin, on tombe des nues lorsque le rapport aborde l’affaire Roswell… En juillet 1947, «quelque chose» s’écrase près de la base militaire américaine de Roswell, Texas. A l’époque une première annonce de la base parle d’une «flying saucer» (soucoupe volante), puis une deuxième, quelques heures plus tard, explique que l’épave n’était en fait qu’un ballon-sonde. L’affaire s’arrête là jusqu’à ce que, fin des années 70, des ufologues aient accès à des documents officiels et récoltent des témoignages qui contredisent la version militaire. Depuis les polémiques se suivent et se ressemblent pour savoir ce qui est réellement tombé cette année-là à une centaine de kilomètres d’une des plus importantes bases militaires américaines de l’époque. La seule certitude restant que l’armée américaine n’a jamais été claire sur ces événements.

Un grand nombre de livres furent publiés sur et autour du crash de Roswell, développant notamment le thème du cover up : l’armée américaine a récupéré en 1947 une soucoupe volante avec les corps de ses occupants extraterrestres, et depuis ce temps-là nous cache la vérité sur la présence d’êtres cosmiques sur Terre avec lesquels elle collaborerait ou combattrait (selon les versions). Parmi tous ces livres, on trouve le meilleur et le pire. L’un des derniers représentants de cette deuxième catégorie semble bien être l’ouvrage du colonel Corso, The day after Roswell, paru aux USA en 1997. Corso y explique qu’il fut chargé pendant de nombreuses années de diffuser auprès des industries américaines les avancées technologiques issues de l’étude de la soucoupe de Roswell : transistors, lasers, fibres optiques, etc. Bien sûr, Corso a aussi entrevu le corps d’un petit alien préservé dans un cercueil de verre. Malheureusement, même les ufologues, dans leur grande majorité, restent très critiques envers le récit de Corso, rempli selon eux d’à peu près historiques, d’erreurs flagrantes et d’informations non vérifiables. C’est pourtant ce livre auquel se réfère le rapport COMETA lorsqu’il aborde Roswell, expliquant que même si «certaines de ces assertions sont pour le moins surprenantes, l’ensemble du contenu du livre ne peut être aisément écarté, lorsqu’on considère la carrière remarquable de son auteur et l’éloge que fait de lui le sénateur Thurmond». Ce dernier, préfacier de la première édition du livre, ayant refusé que son texte figure dans la nouvelle édition, expliquant qu’il n’avait pas eu accès à l’ouvrage entier lorsqu’on lui en demanda une préface…

Dans la troisième partie, Les OVNI et la Défense, les auteurs se livrent à un curieux jeu de «fais-moi peur». Pour expliquer les observations inexpliquées, il ne resterait de valable que l’hypothèse extraterrestre. Quelle attitude devrait adopter la Défense face à une telle éventualité ? Et quelles pourraient être les motivations des visiteurs ? Ce genre de considérations amène à des phrases du style : «Ne serait-il pas logique de penser que ces civilisations extraterrestres auraient établi des stations, voire des colonies, dans la ceinture des astéroïdes et pourquoi pas des relais sur la Lune ? (…)Pour l’instant ils ne paraissent pas s’immiscer dans nos affaires, mais il convient de se demander ce qu’ils recherchent effectivement. Veulent-ils envahir la Terre ? La préserver d’une autodestruction nucléaire ? Connaître et conserver le patrimoine que nos civilisations ont créé au cours des siècles ? (…) Peut-être n’ont-ils que faire de nos sensibilités et des politiques des États ?» (p.56-57)

Pour conclure, le rapport demande un développement conséquent du SEPRA, qui pourrait notamment «utilement consacrer ses efforts à la formation des journalistes» (merci !), et souhaite que la presse dont «il n’est pas question de faire le procès» car «son aide est souvent précieuse» (!) et les médias en général puissent «aider à la pédagogie des foules» (merci pour elle !) (p.70-71).

A longueur de pages, les auteurs du rapport se plaignent de l’attitude des Américains. Depuis 1947, l’armée de ce pays ainsi que ses gouvernants, savent des choses, mais ne veulent pas partager l’information. Ce n’est pas très gentil, estime-t-on au COMETA. Et de citer les ordonnances militaires AFR 200-2 et JANAP 146, qui depuis 1953, interdisent «la divulgation au public d’informations relatives à des observations d’objets non identifiés», ainsi que «la divulgation non autorisée d’une observation d’OVNI par son auteur», sous peine de 10 ans de prison et 10.000 $ d’amende !

Soit, l’armée américaine ne souhaite pas que des informations ayant trait à la présence dans le ciel américain d’objets à l’origine inconnue et sur lesquels aucun contrôle ne semble possible soient largement diffusées. Il est certain que l’armée ne raconte pas tout ce qu’elle sait, et d’ailleurs, comment pourrait-il en être autrement ? Mais cette litanie du rapport COMETA fait sourire, quand on sait qu’en France, les rapports de gendarmerie sur les OVNI doivent rester hors de portée du public pendant… 60 années ! Seul le SEPRA reçoit copie de ces rapports, et semble se contenter de les archiver. Côté transparence, on a déjà fait mieux.

Mais d’ailleurs, que deviennent les dossiers d’observation en France ? Les archives du SEPRA comportent 18 «notes de synthèse», c’est-à-dire des études poussées sur des cas d’observations avec parfois analyses de traces physiques. Seules 2 ou 3 de ces notes comportent des éléments restés inexpliqués. Mais ces travaux datent tous de l’époque GEPAN… Est-ce à dire que le SEPRA ne fait plus rien ? Non, mais que peut un seul homme, Jean-Jacques Vélasco, au niveau national, pour la récolte d’informations puis leur traitement ? A part fournir des explications lorsque une observation est relayée par les médias, ou participer à des émissions de télé en tant que spécialiste de la question, Vélasco a surtout pour tâche de surveiller les rentrées atmosphériques dans le ciel français, satellites, météorites et débris divers, ce qui laisse peu de place aux OVNI. Cependant, quelques phrases du rapport laissent entrevoir une autre réalité : En page 30, on peut lire que : «Le GEPAN/SEPRA s’appuie sur différents laboratoires civils et militaires, dont ceux de l’Établissement technique central de l’armement (ETCA), pour analyser les prélèvements de sol et de végétation recueillis au cours des enquêtes.» Et en page 71 : «le CNES mène des études sérieuses, en collaboration étroite avec la Gendarmerie nationale et l’Armée de l’Air principalement, ainsi qu’avec d’autres organismes d’Etat (Aviation civile, Météorologie, etc.)»

Le SEPRA travaille donc en collaboration avec l’ETCA et l’Armée de l’Air… Les archives de gendarmerie concernant les OVNI, elles, sont cachées au public pendant 60 années. Dans son préambule au rapport, le général Letty explique qu’il lui est «possible de citer» quelques uns des membres du COMETA (il y en a donc d’autres, et qu’on ne peut pas citer… Lesquels et pourquoi ?).

Enfin, le COMETA étant une association loi 1901, il est très facile d’en obtenir les statuts auprès de la Préfecture de Paris en écrivant une simple lettre. Où l’on apprend que ces statuts furent déposés en février 99, et que l’objet du COMETA est simplement «la promotion d’études avancées». Rien d’autre.

Une fois tous ces détails réunis, difficile de suivre le COMETA quand il accuse les Américains de manquer de transparence… Où est celle des véritables rédacteurs du rapport ? Et que vaut un rapport fustigeant les autorités américaines bloquant l’information sur le phénomène, sans demander une seule seconde la levée des 60 ans de secret autour des cas français ? Lorsqu’on entrevoit que les seuls bénéficiaires de la récolte de cas du SEPRA sont, en fait, les militaires, et notamment les laboratoires de l’ETCA ?

La sortie du rapport COMETA devait être un événement d’importance. Malheureusement, les suppliques des semi-officiels français ne semblent pas avoir convaincu grand monde. La presse relaya discrètement le rapport : quelques lignes ironiques dans L’Express et Charlie Hebdo, une brève laconique chez Eurêka, une critique acerbe du sociologue Pierre Lagrange dans Libération, une rapide interview du général Letty sur les ondes de France Inter, et ce fut à peu près tout… Quant au nombre d’exemplaires vendus par VSD-Hors Série, il n’atteignit pas le succès de son prédécesseur de juillet 98 (on parle de 70.000 exemplaires contre 100.000).

Alors, que penser du COMETA en fin de compte ? Sur le plan médiatique, le rapport est plutôt un échec, il n’a provoqué que peu d’écho, et certainement pas une prise de conscience au niveau national. Sur le plan strictement discursif, c’est un bizarre mélange de relations tout à fait classiques de quelques cas incontournables, et de spéculations parfois naïves, parfois proches de la paranoïa la plus digne de la «lunatic fringe» sur la présence d’extraterrestres parmi nous. Enfin sur le plan de la démarche, on ne peut que rester méfiant devant le manque de transparance des rédacteurs. Sans doute, le débat déjà fort embrouillé autour du phénomène OVNI n’avait-il pas besoin d’un tel «événement»…

  • OVNI, les vérités cachées de l’enquête officielle, Robert Roussel, éd. Albin Michel, 1994
  • OVNIS, 50 ans de secrets, Gildas Bourdais, éd. Presses du Châtelet, 1997
  • OVNI, vers une anthropologie d’un mythe contemporain, anthologie réunie par Thierry Pindivic, éd. Heimdal, 1993
  • Enquête sur les OVNI, Jean-Pierre Petit, éd. Albin Michel, 1990
  • La rumeur de Roswell, Pierre Lagrange, éd. La Découverte, 1996
  • Science-fiction et soucoupes volantes, Bertrand Méheust, éd. Mercure de France, 1978
  • Alien Abductions, Michel Meurger, éd. Encrage, 1995
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  • de Grégory Gutierez