A propos des Aventuriers de l'Esprit et de la parapsychologie

(Entretien paru en mars 2006 sur le Blog de l'Insolite et du Paranormal. Précision : je ne suis plus membre du Comité Directeur de l'IMI depuis fin 2006.)

Grégory Gutierez (ses sites, son blog) est co-auteur du livre «Les aventuriers de l’esprit - une histoire de la parapsychologie» (440 pages, éditions Presses du Châtelet, 2005), un ouvrage captivant qui relate les aventures fascinantes des chercheurs qui ont étudié ces phénomènes mystérieux. Il est également membre du comité directeur de l’Institut métapsychique international (IMI), une fondation privée qui se consacre à l’étude scientifique des phénomènes dits paranormaux depuis sa fondation en 1919.

Grégory Gutierez a très gentiment accepté de répondre à quelques questions de BlogParanormal.com. Au menu: les grandes approches de la recherche en parapsychologie, l’attitude des sceptiques, les expériences de Rupert Sheldrake (notamment sur la télépathie), la voyance, etc. Allez vous chercher un bon café et installez-vous confortablement; M. Gutierez a beaucoup de choses à dire. ;-)

Une petite mise en contexte: il est ici question des deux grandes approches de la recherche scientifique en parapsychologie, c’est-à-dire l’«approche universaliste» (sujets pas nécessairement «doués», effets de faible amplitude détectables par l’étude statistique d’un grand nombre d’essais) et l’«approche élitiste» (le contraire; étude de sujets apparemment «doués»: médiums, voyants, etc.). Explications détaillées dans l’article «L’approche élitiste et l’approche universaliste» sur le site de l’IMI.

Q: Pouvez-vous nous expliquer ce qui motive certains groupes, l’Institut métapsychique international (IMI) par exemple, à prôner un retour vers l’«approche élitiste» dans la recherche parapsychologique, c’est-à-dire tester des sujets apparemment «doués» qui seraient capables de produire et de contrôler des manifestations «paranormales» de grande amplitude.

Grégory Gutierez: Une précision pour commencer: je réponds ici en mon nom propre, pas au nom de l’IMI ni au nom des autres membres du comité directeur, qui, bien entendu, pourraient apporter des réponses différentes. À l’IMI, c’est surtout Bertrand Méheust qui défend cette idée d’un retour à l’approche élitiste. On se dit qu’effectivement, plutôt que de passer des années à réaliser de laborieuses expériences avec des centaines de personnes «normales», pour obtenir au final des résultats toujours de faible amplitude, on serait sans doute plus heureux avec des «sujets doués», aux facultés plus éclatantes, plus évidentes.

Cependant, c’est un terrain miné: on ne compte plus le nombre de «sujets doués» particulièrement douteux, voire carrément fraudeurs. C’est même, à mon avis, le cas de la presque totalité des prétendants, c’est ce dont on s’aperçoit quand on regarde en arrière, dans la longue histoire des études sur ces prétendants à la paranormalité. Au moins ce biais est-il fortement amenuisé avec l’approche universaliste. Quand on regarde les travaux des parapsychologues d’aujourd’hui, lors des congrès de la Parapsychological Association par exemple, force est de constater que c’est principalement l’approche universaliste qui domine actuellement. Ce qui pose un problème de méthode: si on veut étudier l’art et la manière de peindre, vaut-il mieux s’épuiser à expérimenter avec le premier venu, même s’il ne manifeste aucun talent particulier, ou bien doit-on plutôt se focaliser sur un ou deux génies de la peinture? Le problème actuel, en tout cas de nos jours en France, c’est qu’il n’y a pas de «grand artiste du psi», actuellement vivant mais aussi disponible, et prêt à s’investir avec nous dans une recherche longue et rigoureuse.

Mais malgré tout, je ne suis pas loin de partager l’avis de Bertrand Méheust. J’ai l’espoir de trouver des sujets doués vraiment étonnants. J’ai bien approché quelques voyant(e)s, et quelques médiums de confession spirite. À part un ou deux cas, avec qui j’entends bien, d’ailleurs, réaliser des recherches poussées, je n’ai pas eu la chance de tomber sur des sujets particulièrement talentueux. Mais, d’une part, je ne suis qu’au début de mes recherches, et d’autre part, l’histoire de la métapsychique et de la parapsychologie nous montre que les sujets psi vraiment impressionnants sont une vraie rareté, au milieu de prétendants plus ou moins sérieux, parfois même vraiment délirants.

Q: Mais avec des expériences simples réalisées dans les conditions bien contrôlées de laboratoires modernes, ces craintes de tricherie ne pourraient-elles pas être éliminées? Pourquoi pensez-vous que l’approche universaliste soit encore privilégiée? Les sujets apparemment doués sont-ils trop rares? L’influence américaine?

Grégory Gutierez: À partir du moment où des expériences sont menées dans des laboratoires, qu’il s’agisse d’approche élitiste ou universaliste, alors les risques de tricherie sont déjà drastiquement réduits. Par exemple, dans un labo, on peut espérer avoir des caméras qui tournent en continu, une salle blanche et austère avec beaucoup moins de centres de distraction, d’objets inutiles qui traîneraient là, et on peut espérer organiser l’expérience avec des personnes compétentes et habituées à ce genre de chose (dont des illusionnistes bien sûr), etc.

Bien sûr ça ne veut pas dire pour autant que toute expérience en labo est forcément impeccable et sans biais ou fraude. On le dit souvent, et je pense que c’est vrai: les scientifiques peuvent être tout aussi naïfs que d’autres spectateurs, plus même, puisque habituellement, ils travaillent avec du matériel qui ne triche pas. Quand ils sont confrontés à une personne aux «pouvoirs» incroyables, ils n’ont parfois pas le réflexe de prendre en compte la possibilité d’une tricherie. Et puis ce n’est pas parce que, par exemple, un physicien est bon dans sa discipline, qu’il saura «gérer» ce nouvel objet d’étude qu’est un être humain pensant, avec ses émotions et son caractère particulier. Dans parapsychologie il y a «psychologie», ce qu’on oublie bien souvent. Le contact humain qui s’établit entre l’expérimentateur et le sujet testé est susceptible d’avoir une influence lourde de conséquences sur les résultats de la «manip» en cours. Alors que le chimiste, par exemple, n’a pas à se soucier de ce genre de détails quand il teste un produit sur un autre à l’intérieur d’une éprouvette. Tout ça, ce sont des réflexions qui me semblent évidentes, et pourtant, la plupart du temps, ce sont des considérations qui sont passées sous silence, ou des paramètres qu’on oublie tout simplement de prendre en compte.

Ensuite, les sujets doués sont-ils trop rares? Voilà bien une question très importante, et l’un des nœuds de désaccord entre les parapsychologues et leurs critiques. J’avoue que j’ai encore du mal à me faire un avis clair là-dessus, car je crois que la problématique est surtout la suivante: les «sujets doués» étaient-ils plus nombreux avant, ou bien est-ce parce que les critères de contrôle se sont progressivement améliorés qu’on trouve moins de «cas» de nos jours? Une chose est sûre en tout cas: même dans des expériences de type «universaliste», on découvre des gens qui sortent du lot. Je pense par exemple aux expériences de perception extrasensorielle de Rhine dans les années 1930 avec ses étudiants: certains obtenaient des résultats vraiment marquants par rapport à leurs camarades (comme Hubert Pierce par exemple). Comme si, effectivement, il y avait vraiment des personnes «douées» pour ce genre de chose. Et ce n’est pas là une idée qui me choque particulièrement, contrairement à une certaine critique zététicienne, selon laquelle cette vision «élitiste» serait une sorte de racisme larvé, qui chercherait en fait à partager le monde entre quelques élus rares et adulés et le reste du monde (banal et sans intérêt). Au contraire, je trouve normal qu’il y ait des sujets «doués», des gens qui sortent du lot lors de tests psi, de même qu’il y a des bons peintres, des mauvais peintres, et des pas-peintres-du-tout.

Q: Ne pensez-vous pas que les groupes de sceptiques «fondamentalistes» - c’est-à-dire ceux qui, au lieu de douter face à un phénomène apparemment paranormal, ont la certitude qu’il s’agit d’une duperie, d’une illusion ou d’une erreur de méthodologie - suggèrent depuis plusieurs années un retour vers l’«approche élitiste», notamment avec leurs défis sceptiques qui offrent de fortes sommes d’argent à quiconque pourra démontrer des pouvoirs «paranormaux» évidents (pas d’effets faibles qui n’apparaissent qu’après des analyses statistiques).

Grégory Gutierez: Il s’agit souvent de personnes qui sont sincèrement persuadées que le psi ne peut pas exister, donc on peut comprendre leur démarche, ils sont honnêtes, ils croient vraiment à ce qu’ils disent. La question à se poser c’est de savoir si, finalement, ça vaut le coup d’avoir de tels interlocuteurs. Pour faire quoi? Que peut-on faire d’intéressant avec une personne qui se contente de croiser les bras en vous mettant au défi de prouver ceci ou cela? Si un jour cette personne finit par être convaincue par une nouvelle Eusapia Palladino par exemple, qu’est-ce que, pour autant, ça va changer à la situation? Croit-on vraiment que soudain la «communauté scientifique» (pour peu qu’un concept si vague et généralisant ait une valeur) va se ranger aux arguments et aux convictions des parapsychologues? Je pense au contraire que c’est une démarche très naïve et simpliste.

Pour moi ces personnes qui se posent en juges ne sont pas de véritables «sceptiques», au sens noble du terme. Je les appellerais volontiers des «pseudo-sceptiques», ou bien des «média-sceptiques», pour reprendre le mot de Rupert Sheldrake. À côté de cette mouvance particulière (qui exige des preuves, mais en même temps redoute plus que tout d’obtenir ces preuves!), il y a heureusement des sceptiques plus intelligents, plus méthodiques, et plus mesurés. J’opposerais volontiers, par exemple, la zététique «brochienne» de celle de Marcello Truzzi, le véritable inventeur de la démarche zététique, dans les années 1970. Voyez aussi l’évolution des associations «zététiciennes» en France: il y a tout un monde entre l’ancien Cercle Zététique (fermé fin 2005), qui a guerroyé pendant des années contre les «prétendants du paranormal» (toutes espèces confondues), et la nouvelle association, «l’Observatoire Zététique», qui cherche à entamer le dialogue et essaie d’élaborer des protocoles de tests, en compagnie des «tenants». On retrouve certes la même démarche théorique (la zététique comme outil d’enseignement de la méthode scientifique, en prenant le «paranormal» comme objet d’étude), mais l’attitude est totalement différente, elle est plus humaine et respectueuse.

De toute manière, l’histoire des recherches en parapsychologie montre qu’il y a beaucoup de sceptiques, parfois très militants, qui finirent par se convaincre de la réalité du psi… ou bien l’inverse!

Deux exemples: Samuel G. Soal a commencé sa carrière en tant que sceptique, il se glorifiait par exemple d’avoir obtenu des résultats conformes au hasard en essayant de répéter les expériences psi avec cartes Zener du laboratoire de Rhine. À l’inverse, plus proche de nous, la chercheuse Susan Blackmore a progressivement abandonné ses recherches en parapsychologie parce que, selon elle, elle n’obtenait jamais aucun résultat significatif (ce qui a été discuté par d’autres spécialistes d’ailleurs, qui en reprenant ses travaux, arrivent à la conclusion qu’il y avait bien des effets psi dans les résultats de Blackmore!). Or, récemment, dans un numéro spécial du Journal of Consciousness Studies, de 2005, consacré aux théories de Sheldrake, elle intervient seulement pour regretter que ce prestigieux journal donne une telle tribune à ce qu’elle considère désormais comme des idées fumeuses et pré-scientifiques. Voilà donc une personne a priori ouverte à la réalité du phénomène qui a fini par ne plus y croire du tout.

Mais pour vous dire le fond de ma pensée, je crois que ce grand partage entre «sceptiques» et «tenants» est très surfait. Il y a bien sûr des personnalités qui prennent des positions caricaturales, qui «croisent les bras et attendent la preuve» par exemple, et d’autres qui consacrent toute leur énergie à tenter de faire admettre tel ou tel «fait» à la Communauté Scientifique tout entière. Mais je pense sincèrement que l’important, c’est de travailler avec des personnes qui veulent vraiment se mettre à travailler, qui sont dans une autre approche que le sempiternel et réducteur «j’y crois» / «j’y crois pas».

J’envisage la parapsychologie à la manière d’un Robert Amadou par exemple (qui introduisit la parapsychologie anglo-saxonne en France, dans les années 1950 et qui, hélas, vient de mourir à Paris il y a quelques jours, oublié de la plupart des gens), ou d’un Robert Morris (le titulaire de la chaire de parapsychologie de l’Université d’Édimbourg, mort, lui, en 2004, quelques jours après le congrès annuel de la Parapsychological Association auquel il avait participé). Pour eux, la parapsychologie inclut aussi bien l’étude des phénomènes réputés paranormaux (le «psi»: télépathie, précognition, télékinésie, …) que l’étude des phénomènes normaux qui peuvent passer pour des occurrences du psi (communication non-verbale, tours de magie, phénomènes psychologiques déroutants mais expliqués, etc.). De fait, pour ma part, quand je m’intéresse à une recherche en particulier, j’essaie de ne pas préjuger de sa qualité en fonction de l’étiquette qu’on colle généralement à son auteur. C’est d’ailleurs ce que j’ai tenté de faire dans mon livre: rendre compte des travaux des uns et des autres, en essayant de dépasser les clivages habituels, regarder par-dessus le mur des préjugés en quelque sorte, pour voir enfin le paysage tel qu’il est.

Donc, pour répondre (enfin!) à votre question: d’une part, je mets dos à dos les sceptiques «fondamentalistes» et les tenants «fondamentalistes». Ce ne sont pas des personnes utiles, ce sont des militants, comme on en trouve dans les religions ou les partis politiques. D’autre part, je considère que le véritable «chercheur» ne doit pas être catalogué à partir de ses convictions personnelles. On doit le juger sur la qualité de son travail, sur ce qu’il a produit qui permet d’y voir plus clair, d’apporter des réponses, bref sur l’utilité qu’il a pu avoir pour les autres chercheurs et pour les problématiques qu’il a contribué à éclaircir.

Enfin, à propos des défis: c’est l’exemple type de l’argument médiatique sans aucune réelle valeur. Il y a eu des dizaines de défis dans l’histoire des sciences psychiques, aussi bien lancés par des sceptiques que par des tenants. J’avais même eu l’idée, à une époque, d’écrire un petit livre qui raconterait les contextes de chacun de ces défis. Mais enfin, à quoi ont-ils servi? À rien du tout! C’est un argument de rhétorique pour abattre l’adversaire à peu de frais. Aucune science n’a jamais progressé grâce à ce genre de défis. Quand Galilée mettait au défi ses critiques de regarder dans la lunette de son télescope, ils voyaient bien la même chose que lui, mais il leur était facile d’affirmer qu’il s’agissait seulement d’illusions d’optiques dues à la distance ou à la mauvaise qualité du dit télescope. Quand Edison présentait son phonographe devant l’Académie des Sciences, à Paris, on l’accusait d’être un simple ventriloque. Le défi, c’est typiquement l’argument qui, au lieu de permettre d’y voir plus clair, sabote tout simplement la controverse et noie la discussion dans la bêtise. D’ailleurs, c’est bien simple, regardez qui sont les gens qui lancent des défis: ce sont rarement des «découvreurs», des personnes qui ont fait progresser notre compréhension du monde, mais plutôt des gens qui ont une doctrine à vendre, ou bien des personnes en mal de reconnaissance médiatique, plus pressés de courir sur les plateaux télé que dans un laboratoire.

Q: Que pensez-vous des expériences de Rupert Sheldrake sur la sensation d’être observé et la télépathie (voir, par exemple, Rupert Sheldrake: un biologiste qui pourrait changer le monde et Rupert Sheldrake aurait-il prouvé la télépathie avec le courriel?)? Outre les problèmes de méthodologie de ses recherches, pensez-vous qu’il soit sur une bonne piste?

Grégory Gutierez: Oui, je pense qu’il est sur une bonne piste, en tout cas j’admire la simplicité de sa réflexion: il regarde autour de lui et tente ensuite de vérifier ce qu’on lui dit: «votre chien sait quand vous êtes sur le chemin du retour? Eh bien, tentons l’expérience alors!» Et il réalise alors de nombreuses expériences de ce type, avec une caméra qui filme le chien à la maison et une autre, parallèlement, qui filme le maître quelques kilomètres plus loin (lequel rentre à un moment choisi aléatoirement, différent de ses habitudes, bien entendu, et dans un taxi plutôt qu’avec son véhicule personnel). Les films ainsi obtenus par Sheldrake sont tout à fait étonnants. C’est tellement manifeste, qu’on hésite entre un enthousiasme béat («bon sang, mais c’est bien sûr! Pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt?») et une certaine méfiance face à des réussites si éclatantes («tout de même… c’est trop beau pour être vrai tout ça…»). Précisons cependant que Sheldrake ne prétend pas, dans ce type d’expérience, que le chien ne se relève qu’au moment du retour du maître: il montre que le chien se rend beaucoup plus souvent à la porte quand le maître est sur le chemin du retour, que pendant les heures qui précèdent.

Il faudrait refaire ces expériences, de manière indépendante de Sheldrake, pour se faire un avis clair là-dessus. Et le débat est en cours actuellement. En Angleterre, Richard Wiseman et son équipe ont tenté de reproduire l’expérience il y a quelques années. Précisons que Wiseman est très critique sur la réalité des phénomènes psi, et semble se faire une spécialité du «démontage» (debunking) du travail des autres. Mais là, ses résultats semblaient parfaitement valider ceux de Sheldrake! Si l’on en croit Sheldrake, Wiseman a choisi de présenter ses données de manière à faire croire qu’il avait au contraire réussi à invalider les résultats de Sheldrake! Actuellement les deux chercheurs campent toujours sur leurs positions: Sheldrake dit que Wiseman a obtenu des données qui valident les siennes, Wiseman dit que non… Pour ma part, j’ai plutôt l’impression que c’est Sheldrake qui est dans le vrai dans cette histoire (les arguments des uns et des autres sont disponibles notamment sur le site de Rupert Sheldrake, dans la rubrique «Controversies»: http://www.sheldrake.org/).

En 2004, Dick Bierman et Eva Lobach, de l’Université d’Amsterdam, ont réalisé à leur tour une autre fameuse expérience de Sheldrake, celle dite de la «télépathie par téléphone». Ils ont obtenu eux aussi un résultat significatif (http://www.sheldrake.org/articlesnew/pdf/Lobach.pdf). Précisons cependant que d’autres réplications n’ont pas eu le même succès: comme dans toute expérience de parapsychologie avec du «matériel» humain, les conditions psychologiques dans lesquelles se déroule l’expérience sont extrêmement importantes.

D’ailleurs, comme je l’ai dit tout à l’heure, tout un numéro du Journal of Consciousness Studies a été consacré, en 2005, à débattre des théories et des travaux de Sheldrake (http://www.sheldrake.org/controversies/JCS_special/Editorial12_6.pdf). Ce qui montre que, d’une part, le débat scientifique sur ces phénomènes est donc bien possible, et d’autre part que Sheldrake arrive à mobiliser une partie de cette fameuse et mythique «communauté scientifique», et cela sans doute parce qu’il est plus audacieux que d’autres. Il n’hésite pas à attaquer de front les grandes questions, celles qui ont été peu à peu abandonnées par les parapsychologues, lassés des critiques mille fois répétées par leurs adversaires.

Par exemple, ces expériences de télépathie par téléphone sont très simples à comprendre (même pour un non spécialiste) et relativement simples à mettre en place: on demande à quelqu’un de deviner qui l’appelle, parmi 4 personnes possibles; ces appelants étant choisis parmi ceux avec qui ça marche habituellement, selon le témoignage de la personne testée. Mais elles ont aussi un autre intérêt: celui de battre en brèche l’avis de quelques adversaires de la parapsychologie, qui illustrent la bêtise humaine avec l’exemple des gens qui croient savoir à l’avance qui les appelle au téléphone (alors qu’en fait ils ne retiendraient que quelques maigres succès, parmi une majorité d’échecs). Eh bien, si cette expérience de télépathie par téléphone est bien confirmée indépendamment de Sheldrake, elle annule purement et simplement ce célèbre argument sceptique. Voilà qui n’est pas rien.

Q: Ce serait effectivement une véritable révolution. Croyez-vous que la recherche en métapsychique ou en parapsychologie ait déjà démontré hors de tout doute l’existence d’effets paranormaux?

Grégory Gutierez: Déjà, il faut s’entendre sur le terme «paranormal». Comme pour «parapsychologie», le mot a été énormément galvaudé. Je vais prendre pour définition celle que donnait le philosophe John Ducasse dans les années 1950: est paranormal un phénomène qui n’excède pas la nature, mais que notre science ne peut pas encore expliquer. Fatalement, quelque chose de paranormal finira, un jour ou l’autre, par devenir du «normal», c’est-à-dire de l’expliqué, du connu. C’est important car cela veut dire que le paranormal n’est pas le «surnaturel». Il n’excède pas la réalité du monde, il en fait partie, et c’est simplement l’observateur (nous, les êtres humains) qui ne le comprend pas encore.

Si l’on prend «paranormal» dans ce sens-là, alors oui, ma conviction personnelle est qu’il y a certains phénomènes paranormaux qui sont avérés, c’est-à-dire qu’on a pu observer de multiples fois, dans de bonnes conditions d’observation. C’est plus précisément le phénomène de la voyance sur lequel j’ai aujourd’hui le moins de doute. C’est le phénomène qui me paraît à la fois le mieux avéré, mais aussi le plus «blasphématoire», parce qu’on ne peut pas s’empêcher de supposer un changement complet de notre philosophie et de notre science pour tenter d’en rendre compte.

De la formidable enquête «Fantasms of the Living» de la SPR à la fin du XIXe siècle, aux séances en public de Pascal Forthuny dans les années 20, en passant par les expériences quantitatives de Rhine dans son labo de parapsychologie à la Duke University dans les années 1930-1940, jusqu’aux expériences contemporaines de Ganzfeld ou de Remote Viewing par exemple, c’est toujours cette même «fonction mentale» qu’on semble observer.

Et en effet, si une personne arrive à obtenir des informations vraiment précises, sur vos sentiments envers quelqu’un par exemple, ou sur le passé de l’endroit où elle se trouve, ou sur votre situation le mois prochain à la même heure, ou encore sur une catastrophe prochaine, et cela alors qu’elle n’avait aucun moyen rationnel ni déductif de le savoir, alors nous voilà face une véritable énigme, difficile à réduire à un phénomène connu et trivial.

Q: Vous dites que cette capacité d’acquérir des informations par voie extrasensorielle serait la plus «blasphématoire» face à la science actuelle. Que pensez-vous des interprétations (très contestées mais apparemment de plus en plus à la mode) qui se basent sur des phénomènes quantiques - la liaison à distance de particules et «non-localité» - pour tenter d’expliquer des phénomènes tels que la télépathie?

Grégory Gutierez: Je connais bien cette tentative de modèle explicatif, mais je crois qu’elle a été plus médiatisée qu’il n’a vraiment intéressé les parapsychologues (ceux qu’on trouve dans des universités ou des instituts, et qui se réunissent régulièrement dans des colloques pour présenter leurs travaux et les soumettre aux critiques de leurs collègues). Il y a bien des parapsychologues qui s’intéressent à la mécanique quantique, notamment certains théoriciens qui travaillent sur la «Observational Theory», qu’il est bien difficile de résumer en quelques lignes. Pour faire court, ils s’inspirent des phénomènes du monde quantique pour les appliquer au «psi». En fait, ce serait l’intention de l’observateur qui influencerait à distance - distance spatiale ou temporelle - ce sur quoi il focalise son attention: l’état d’un générateur aléatoire, ou bien un événement futur.

Personnellement, et je le dis sans gêne, je n’ai pas le bagage intellectuel nécessaire pour pouvoir donner un avis pertinent sur ce thème du psi expliqué grâce à la mécanique quantique. Je remarque seulement qu’à chaque époque on a cherché à raccrocher le psi aux avancées scientifiques du moment. Par exemple dans les années 1880/1900, la télépathie (terme forgé à cette époque par l’anglais Frederic Myers) est souvent comparée à la transmission d’information par câbles puis par radio, modes de communication tout à fait novateurs à l’époque. Du coup, le livre de l’écrivain américain Upton Sinclair, racontant ses expériences de transmission télépathique à distance avec sa femme (et préfacé par Albert Einstein!), aura pour titre: «Mental Radio»! Mais on sait aujourd’hui qu’il n’y a pas d’ondes mentales propres au psi. En tout cas, c’est la conclusion des parapsychologues. Joseph Rhine, par exemple, est très sceptique sur cette idée d’ondes mentales, dès ses premiers livres dans les années 1930, et il pense que le psi se cache quelque part dans la manière de fonctionner de la conscience humaine elle-même.

Alors l’association du psi à la mécanique quantique est-elle un simple effet de mode, ou bien une piste de recherche valable? Rendez-vous dans 50 ans pour le savoir! Peut-être qu’à ce moment-là, on parlera plutôt des liens théoriques entre le psi et les «super-cordes»!

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  • de Grégory Gutierez