Larzac-sur-web - intervention au Conseil Fédéral EELV du 17 janvier 2015
Mon intervention lors du Conseil Fédéral d'Europe Écologie - Les Verts du 17 janvier 2015, en ma qualité de responsable de la commission Partage 2.0 (http://numerique.eelv.fr).
Bonjour à toutes et tous,
je prends la parole au nom de la commission Partage 2.0, qui traite des “libertés numériques”. C'est-à-dire nos libertés fondamentales : liberté d'expression, liberté de critiquer et d'agir, y compris contre des Grands Projets Inutiles, droit de savoir lesquelles de nos données personnelles sont consultées par qui, utilisées par qui et à quelles fins.
Ces derniers jours, plusieurs personnalités ont pris position pour que soit renforcée la surveillance du réseau Internet et sa censure éventuelle, au nom de l'impérieuse nécessité de lutter contre le terrorisme. Certains rêvent d'un Patriot Act à la française et le disent sans complexe.
Le Patriot Act, voté aux Etats-Unis après les attentats du 11 septembre 2001, a conduit à des extrémités que vous connaissez. Tout cela est bien documenté aujourd'hui. Tout cela a pu se faire au nom de la lutte contre le terrorisme.
Depuis le massacre de Charlie Hebdo, une véritable ferveur populaire s'est développée. Mais il ne faudrait pas que la légitime lutte contre le terrorisme devienne un prétexte à restreindre encore un peu plus les libertés fondamentales des citoyens.
L'écrivain Oscar Wilde disait : “Le patriotisme est la vertu des brutes”. Rappelons-nous ces paroles dans les mois qui viennent.
On entend de plus en plus souvent, “si t'as rien à te reprocher, t'as rien à cacher”. Mais non, c'est prendre le problème à l'envers. Ce n'est pas à nous d'être totalement transparents aux yeux de l'Etat, c'est à l'Etat d'être le plus transparent possible aux yeux des citoyens.
Les révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden l'ont bien montré : grâce aux pouvoirs acquis au nom de la lutte contre le terrorisme, la puissante NSA américaine est allée jusqu'à espionner les échanges entre députés européens sur certains dossiers économiques primordiaux. Nous sommes un parti politique et nous communiquons via le web, nous sommes donc concernés.
Une loi anti-terroriste a été votée en novembre dernier en France. Nos députés ont eu le courage de s'abstenir lors du vote. Mais pas celui de s'y opposer clairement par un vote contre. L'honneur est sauf, me semble-t-il, mais à quel prix ? Combien de sympathisants, d'associations, ont arrêté d'espérer qu'EELV puisse participer à changer les choses ? Heureusement, nos sénateurs ont voté contre cette loi quelques semaines plus tard.
Mais souvenez-vous de la désobéissance civile au Larzac pendant les années 1970. En juin 1976, plusieurs militants ont investi le camp militaire pour y récupérer des documents qui prouvaient les manigances de l'État. Ils ont été arrêtés pour cela, heureusement pour quelques semaines seulement. Aujourd'hui, une telle action pourrait-elle être qualifiée de “terroriste” ?
Et demain, des écologistes qui projettent de déployer une banderole en haut d'une centrale nucléaire, ou d'occuper le chantier d'un barrage, pourraient-ils devenir des terroristes ? Souvenez-vous aussi du Rainbow Warrior.
En fait, tout dépend du gouvernement qui sera en place demain, et de la définition qu'il donnera de l'expression “activité terroriste”. Au Canada aujourd'hui, des actions de militants écologistes sont déjà considérées comme des actes de terrorisme. Et une loi du même genre est en préparation en Australie.
Et si demain, des forces réactionnaires reviennent à la tête de l'État ? Qui vont-elles surveiller et punir pour des idées qui ne sont pas les leurs ? L'affaire de Tarnac, en 2009, nous a démontré qu'un gouvernement pouvait facilement créer de toutes pièces une menace intérieure, une menace “terroriste”, et mettre des gens en prison, sur de simples suspicions.
Les débats parlementaires seront certainement assez vifs sur ces sujets. J'appelle donc nos députés et sénateurs à être en première ligne.
Il y a bien des pistes de réflexion pour se prémunir :
- Renforcer les pouvoirs et les prérogatives du Conseil National du Numérique, qui pour le moment n'a qu'un rôle consultatif ;
- Aider notre député Sergio Coronado dans son travail au sein de la récente Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique à l'Assemblée Nationale ;
- Développer aussi les moyens humains et financiers de la CNIL, qui a regretté récemment la multiplication des fichiers de surveillance ;
- Au niveau européen, c'est bien sûr la bataille pour la neutralité du Net qu'il faut continuer : parce que ce principe technique est aussi un principe démocratique, qui garantit un égal accès pour tous à l'information et à l'expression sur Internet.
Je veux que mon parti soit fier de ses racines, de ses combats et de ses valeurs. Et je crois que ces valeurs, se sont celles qui avaient fédéré des populations si disparates dans les années 1970 contre l'extension du camp militaire du Larzac, lutte que je considère comme la véritable matrice de l'écologie politique française.
Et cette lutte doit continuer aussi, aujourd'hui, sur le terrain du web.
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