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Le FN, ou l'émergence du national-républicanisme

 "L'erreur fatale", Arthur Burdett Frost, 1884

Une particularité du discours de Marine Le Pen, que je ne retrouve guère chez les autres figures politiques du moment, sauf peut-être, mais de manière bien moins efficace, chez Sarkozy, c'est sa méchanceté, sa dureté dans les jugements qu'elle porte sur ses ennemis. Elle n'hésite pas, elle y va franco, elle est en guerre contre eux, tout en se réclamant “de la République et de la nation”.

Vous me direz, son père faisait pareil, en pire même, sans jamais avoir atteint de tels scores aux élections. Peut-être parce qu'il n'hésitait pas à choquer sur l'histoire de France récente, manière d'envoyer des clins d'oeil aux partisans de l'extrême-droite nostalgique du maréchal (“les chambres à gaz, détail de l'histoire”, “Durafour crématoire”, etc.).

Cette dimension est absente des discours de sa fille, alors que le programme du FN est toujours le même, et ses représentants toujours aussi consternants de crétinerie patriote, raciste et homophobe. En gros, tous “nos” problèmes (à nous, les vrais Français), c'est la faute des immigrés, et la France, la vraie, c'est celle de Jeanne d'Arc et de Charles Martel, c'est-à-dire une France qui se bat, épée à la main, contre les barbares qui veulent prendre notre terre.

C'est de la mythologie, de la légende, du conte pour enfants, mais ça marche. Ça marche comme programme politique. L'indigence du programme politique officiel du FN a été soulignée plus d'une fois, mais ça n'est pas grave, le vrai programme du FN c'est le discours de Marine Le Pen, pas le détail des mesures économiques, sociales et autres, que son parti doit bien tenter de rédiger pour se plier aux règles de la démocratie.

Et donc, pour revenir au début de ce petit texte, il me semble que la spécificité des discours de Marine Le Pen, c'est leur style très agressif envers les autres partis politiques. Au moins les choses sont claires avec le FN, on sait qui sont les méchants, on sait où on va, la mécanique du bouc-émissaire joue à plein et tant pis si la falaise se rapproche diablement vite. C'est du populisme plein pot, une forme de super-poujadisme parfaitement décomplexé (évidemment, Sarkozy fait pâle figure à côté, lui qui doit encore composer avec une frange réellement républicaine de caciques dans “son” parti).

Enfin bref, tout ça pour dire que le programme du FN, c'est avant tout les discours de Marine Le Pen, et leurs déclinaisons par ses lieutenants. Le reste, c'est de la pâtée pour chat, et c'est pour ça que les ingrédients peuvent y être à géométrie variable, d'une région à l'autre, d'une élection à l'autre. Et ce qui m'inquiète le plus dans tout ça, c'est que les discours de Le Pen, ces derniers temps, sont de plus en plus axés sur la République et la Nation. Le FN est porteur d'une vision “nationale-républicaine” de la France.

Tout comme, à une époque pas si lointaine, on vantait les mérites du national-socialisme.

La désespérance, c'est “l'état d'une âme qui a perdu l'espérance”. Le désespoir, c'est “la perte de toute espérance, abattement total de quelqu'un qui a cessé d'espérer ; affliction profonde, détresse, désespérance : Sombrer dans le désespoir.” (Larousse).

Bref, la désespérance, c'est le désespoir, mais pourquoi dit-on alors “la désespérance des électeurs” et pas “les électeurs désespérés” ?

Peut-être parce qu'il est trop flagrant que les électeurs du FN ne sont pas “désespérés”, ce qui impliquerait qu'on les verrait en détresse, en affliction profonde. Ce qui n'est clairement pas le cas. En revanche on peut dire qu'ils ont “de la désespérance”, comme on dirait d'un malade qu'il a la goutte ou d'un sportif qu'il a de l'endurance. Il s'agit de décrire un état, un état d'être, dont l'électeur ainsi désigné n'aurait pas forcément conscience, mais qui expliquerait son attitude.

C'est bien pratique, ça permet en quelque sorte de médicaliser le vote FN : les gens qui votent FN ne vont pas bien, ils souffrent de désespérance.

Je note que le terme était d'ailleurs utilisé déjà en 2008 au congrès du Parti Socialiste : “Nos compatriotes souffrent, l’angoisse, la désespérance sociale sont fortes.” — (Motion pour le congrès de Reims du Parti Socialiste, Un monde d’avance, la Gauche décomplexée, 2008).

Je pense qu'on fait fausse route en utilisant cette notion de “désespérance”, c'est bon pour les chroniqueurs vissés à leurs chaises sur les plateaux télé, ou les éditocrates en mal d'analyses à régurgiter en long et en large parce que c'est leur boulot de régurgiter, de “rendre”. Mais ça ne permet pas de comprendre ce qui est en train de se passer, ça permet seulement de se rassurer, jusqu'en 2017, en diagnostiquant une maladie imaginaire sur les électeurs du FN.

Reste que le terme peut être utilisé pour désigner le fait que les électeurs n'ont plus confiance dans la politique “classique”, le jeu des partis, les processus législatifs, le militantisme, les idéologies… Ils se désespèrent de la “classe politique” (dans le sens de la lutte des classes), et donc se réfugient sur un vote contestataire, pour faire chier tous ces pourris de politiciens (et tant pis si, ce faisant, on pousse aux portes du pouvoir des pourris bien pires encore).

Mais là encore, je ne suis pas certain que ce soit cela qui soit en train de se jouer aujourd'hui. Celles et ceux qui n'y croient plus, à la politique en général, ne vont tout simplement plus voter, du tout.


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  • Dernière modification : 2020/04/06 12:35
  • de Grégory Gutierez