Le jour où Google m'a interdit de publier un article sur son réseau Google+

J'aime bien Google+ pour plein de raisons :

  • Il y a pas mal de communautés bien ciblées sur des thématiques qui m'intéressent, des communautés bien vivantes, malgré la réputation de “village fantôme” de ce réseau social ;
  • L'intégration au système Android est très bonne, et je peux très facilement y partager du contenu ;
  • Le stockage automatique des photos prises avec mon smartphone est bien fichue, avec des effets automatiques assez sympas.

Et puis, par rapport à mon expérience sur Facebook, où j'ai d'abord retrouvé un tas d'anciens amis, Google+ me permet avant tout de rencontrer des gens que je ne connaissais pas, que je ne rencontrerai certainement jamais “dans la vraie vie”, mais avec qui je partage certains centres d'intérêt et avec lesquels je peux avoir des discussions enrichissantes. Je me souviens par exemple d'un long débat sur l'éternelle polémique des guitaristes à propos des essences de bois utilisées pour fabriquer leurs instruments adorés (le bois a-t-il oui ou non un impact sur le son des micros d'une guitare ?).

Donc, parce que j'aime bien Google+, je me suis retrouvé d'autant plus fâché ce mercredi 14 mai 2014 en fin de soirée, lorsque j'ai tenté d'y partager un article… et que Monsieur Google a préféré me gronder pour cette initiative malheureuse. Le truc, c'est que j'ai aussi posté cet article sur d'autres réseaux sociaux, sans qu'il n'y ait aucun problème.

L'article que j'ai voulu partager est le suivant : Cannabis et mémoire de travail : un débat ouvert, sur le site français de la société Sensi Seeds. L'article est signé d'un docteur en philosophie, éditeur d'un magazine qui, visiblement, milite pour la dépénalisation du cannabis. Plus précisément, j'avais mis en exergue le passage suivant de cet article : “Habituellement, lorsque nous tenons une conversation, nous passons d’un thème à l’autre encadrant la discussion. En état de sobriété, nous évoluons dans la discussion de façon plus pragmatique et linéaire, alors que sous l’emprise de la drogue nous procédons par sauts associatifs. Ceci peut être merveilleux pour formuler des observations détaillées, de nouvelles idées, et pour réaliser des bonds extrêmement intéressants vers un niveau de pensée supérieur et faire des associations tirées par les cheveux, mais intéressantes, mais ce processus rend difficile toute tentative de revenir au sujet initial.”

Lorsque je partage un article, il m'arrive souvent de le publier sur plusieurs supports en même temps : sur Google+, sur mon Tumblr, sur Twitter et sur Facebook. Sur ces trois derniers supports, la publication n'a pas posé de problème. Mais sur Google+, au contraire, j'ai eu droit à deux avertissements. D'abord un avertissement par e-mail, puis une alerte sur la page d'accueil de mon compte Google+.

Les avertissements que j'ai reçus expliquent clairement que je n'aurais pas dû faire “la promotion ou la vente de produits réglementés”. Or, sur le site de Sensi Seeds, on peut acheter plein de graines de marijuana. Au moment où j'écris ces lignes, plusieurs États américains autorisent la vente de marijuana à visée thérapeutique, je précise cela car Google est une entreprise américaine.

Notez d'ailleurs le caractère culpabilisant de ces avertissements : “Cette communauté est la nôtre. Faisons en sorte que Google+ soit et demeure un espace de rencontre agréable !” Quand on me dit que cette communauté “est la nôtre”, qui parle exactement ? Le patron de Google ? Le service juridique de Google ? L'équipe qui monétise les données personnelles des usagers de Google+ ? Ce “nous” est particulièrement flou, et évidemment, c'est fait exprès, pour asseoir justement un sentiment de “communauté” auprès des utilisateurs, comme si nous étions tous membres d'une seule et même grande famille en utilisant Google+. Avec toutes et tous la même liberté et les mêmes droits.

La chose est d'autant plus comique que la société Sensi Seeds dispose de sa propre page de promotion sur ce même réseau Google+ ! On peut donc affirmer tout à fait sérieusement que, sur Google+, une entreprise peut faire la promotion de la vente de graines de marijuana sans être inquiétée, mais qu'un simple utilisateur, lui, ne peut pas diffuser d'article de réflexion sur les effets du cannabis, quand cet article provient d'un site qui vend des graines de marijuana :)

Cette petite mésaventure a l'avantage d'illustrer l'un des dangers des réseaux sociaux : tous ces sites sont susceptibles de filtrer a priori les contenus publiés par leurs usagers, de décider pour eux de ce qu'il sera bon ou mauvais de faire connaître aux autres. Selon quels principes ? Et au bénéfice de quels intérêts ?

Je précise qu'à mon avis, il n'y a pas une politique explicite de Google pour empêcher les internautes de publier des articles sur la consommation de marijuana, tout en laissant des entreprises en faire la promotion, mais il y a certainement quelque part sur les serveurs de Google une liste noire de sites considérés comme illégaux, ce qui fait que ma news n'aura pas pu être publiée, même s'il ne s'agissait pas de vendre quoi que ce soit. C'est cet effet pervers du filtrage trop restrictif que je regrette ici. Le résultat final, c'est qu'une réflexion sur les effets du cannabis sur la mémoire de travail ne peut pas être diffusée sur le réseau social de Google, alors qu'en parallèle, la société, basée aux Pays-Bas, qui vend des graines de marijuana, dispose de sa page corporate. Ce qui fait de Google+ l'ami du commerce, plus que de la réflexion et du partage entre utilisateurs.

Il y a quelques années, j'avais eu le même genre de censure sur Facebook, lorsque j'avais voulu indiquer le lien d'un Torrent sur le célèbre site de partage ThePirateBay à l'un de mes contacts. J'étais passé alors par la messagerie interne de Facebook, mais au moment de cliquer sur le bouton “envoyer”, il m'avait été annoncé que mon message ne pouvait pas être envoyé, parce qu'il contenait “un contenu frauduleux” (je cite de mémoire). J'étais très mécontent, mais surtout, j'avais vraiment eu le sentiment de ne pas être “chez moi” en étant sur Facebook, contrairement à l'impression que tentait de me donner ce réseau social. Soudain j'entrevoyais le gendarme des bonnes mœurs commerciales, bien silencieux mais toujours vigilant, qui vérifiait ce que j'écrivais et déciderait pour moi si j'allais pouvoir communiquer cette information à un tiers. Très désagréable, cette sensation d'infantilisation de l'usager. Cette petite déconvenue, absolument pas grave (il m'avait suffit de changer une lettre de l'URL pour que ça passe), m'avait décidé en tout cas à ne jamais faire de la messagerie Facebook mon moyen de correspondance préféré sur le web. Il y a peu, Facebook a d'ailleurs abandonné son projet de courriels @facebook.com, qu'il avait tenté d'imposer comme service à ses usagers. Imaginez deux secondes si ce service de courriels avait eu du succès…

Bref, n'hésitez pas à faire tourner, parce que knowledge is power.

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  • Dernière modification : 2020/04/11 14:37
  • de Grégory Gutierez