L'observation de Cussac en 1967 : historique des débats

(Article publié le 31 août 2004 sur mon site www.cielinsolite.fr).

A la fin de l’été 1967, deux enfants du petit village de Cussac, dans le Cantal, observent, à quelques 80 mètres d’eux, dans un champ et derrière une haie d’arbres, ce qui ressemble à une sphère brillante entourée de quatre petits hommes habillés de noir. Très rapidement, les silhouettes rejoignent la sphère et celle-ci s’envole et disparaît prestement… L’observation aura duré une trentaine de secondes. La polémique autour de ce cas, elle, dure toujours !

Les enfants de Cussac, un frère et une sœur, ont-ils vu un véhicule venu d’ailleurs, avec son équipage d’humanoïdes en combinaison noire, ou bien ont-ils aperçu un hélicoptère à cockpit plus ou moins sphérique, sur lequel dardaient les rayons du soleil d’août ? 37 ans après les faits, rien n’est encore certain dans cette affaire. Les sources d’information sont éparpillées dans divers ouvrages et sites internet. Et malheureusement, la source principale sur ce cas, le rapport interne issu de l’enquête du GEPAN en 1978, reste enfouie dans les archives du défunt SEPRA, dans une cave du CNES à Toulouse. Le document a circulé seulement de manière confidentielle, parmi certains ufologues avisés, mais n’a jamais été rendu public (pour essayer de changer cela, n’hésitez pas à signer notre pétition).

Pour essayer d’y voir plus clair, il faut pouvoir accéder à toute la littérature sur ce cas de Cussac. Voici donc une tentative de reconstitution chronologique des discussions sur cette l’affaire, avec les liens nécessaires vers les sources.

1968 - L’article de Phénomènes Spatiaux

La revue ufologique Phénomènes Spatiaux, dans son numéro du 16 juin 1968, rend compte de l’observation des enfants de Cussac, qui eut lieu 10 mois auparavant. Intitulé “Rencontre ’diabolique’ sur le plateau de Cussac”, il est écrit par Joël Mesnard et Claude Pavy, occupe 4 pages de la revue et s’accompagne de plusieurs dessins et d’une photographie des témoins sur place, près de la fameuse haie. L’origine extraterrestre du phénomène ne semble faire aucun doute pour les deux auteurs de l’article. Les dessins de Joël Mesnard montrent clairement des petits êtres noirs, non humains, autour de leur sphère/vaisseau.

Une trace circulaire aurait été retrouvée à l’endroit où s’était posée la sphère. Selon le petit François, 13 ans, lors de son décollage et de sa disparition, la sphère aurait émis une odeur, celle du souffre ou de l’ozone. François porte des lunettes, il aura les yeux larmoyants après l’observation, à cause de la très forte luminosité de la sphère pendant son envol. Sa soeur Anne-Marie, 9 ans, dit avoir distingué les “pieds palmés” des petits personnages. L’un d’eux tenait à la main un petit objet qui évoquait un miroir. Au moment du décollage, la sphère émet un fort sifflement.

En 1978, Claude Poher, qui vient de créer le GEPAN au sein du CNES, à Toulouse, se déplace à Cussac en compagnie de 3 autres enquêteurs maison. Dix ans après les faits, les témoins sont interrogés, des mesures de distance sont prises, divers tests sont effectués (notamment, des échantillons de divers produits sont soumis à François pour qu’il tente d’identifier l’odeur dégagée pendant le décollage de la sphère). L’hypothèse d’un hélicoptère et de son équipage est ainsi écartée assez rapidement, à l’aide d’une grille d’interprétation des témoignages conçue par le GEPAN quelque temps auparavant. Un rapport interne du GEPAN est rédigé, mais, comme tous les travaux du groupe d’enquête du CNES, il ne sera jamais rendu public… (Ce qui prive malheureusement les curieux d’aujourd’hui de la source la plus complète sur ce cas…)

  • Update 2 mars 2005 : le dossier du GEPAN est désormais disponible.

Un article est consacré au cas de Cussac dans l’ouvrage OVNI - Vers une anthropologie d’un mythe contemporain, dirigé par Thierry Pinvidic et contenant des articles de 23 auteurs issus de toutes les tendances de l’ufologie d’alors (Ed. Heimdal, 1994). L’article raconte l’enquête menée par Thierry Pinvidic, Bertrand Méheust et Jean-Pierre Grangeon, qui rencontrent le principal témoin en 1983 (François est alors âgé de 29 ans). François leur affirme : que l’odeur constatée était très fugitive ; que l’objet était d’une luminosité inouïe ; qu’il perçut une sensation de chaleur et de souffle ; qu’il n’a jamais constaté de trace dans le champ (contrairement au récit de Phénomènes Spatiaux) ; que le détail des “pieds palmés” rapporté à l’époque par sa petite soeur, n’est guère fiable (les feuillages des arbres de la haie cachaient le sol) ; que l’observation fut d’environ 30 secondes, pas plus ; etc.

Ils rencontrent ensuite Anne-Marie, la petite soeur, qui leur précise avoir vu des “béquilles” au-dessous de la sphère, puis le garde-champêtre de Cussac, qui était dans sa grange au moment des faits, et avait entendu un fort sifflement, qu’il attribua alors au survol d’un hélicoptère. Plus tard, dans la soirée, il aura lui-même ressenti l’odeur de souffre ou d’ozone dans le champ. Enfin, Pinvidic, Méheust et Grangeon rencontrent M. V., un fermier qui labourait son champ au volant de son tracteur au moment des faits, et qui fut la première personne à rencontrer les enfants après l’observation. Il confirme que les deux petits étaient complètement paniqués lorsqu’ils s’adressèrent à lui en demandant s’il avait vu ou entendu quelque chose. Mais l’agriculteur conduisait alors son tracteur, dans une direction opposée à celle des enfants. Le bruit du moteur couvrait tout autre source sonore. Pour lui, les gamins ont été sincèrement terrifiés par quelque chose de réel, mais qui doit être un phénomène naturel, explicable, et pas une histoire d’extraterrestres.

A la lecture de l’article de Pinvidic, Méheust et Grangeon, la coloration extraterrestre de l’article de Phénomènes Spatiaux est fortement relativisée. Cependant, les auteurs jugent “indéfendable” l’explication par le décollage d’un hélicoptère et ils aboutissent à la conclusion que le cas resiste à l’analyse : “Si la réduction de cette affaire à un phénomène d’ordre psychosocial demeure possible, il nous faut admettre que nous ne l’entrevoyons toujours pas.”

1996 : L’article d’Erick Maillot

En 1996, l’ufologue Erick Maillot, de tendance sceptique, publie un long article à propos de Cussac sur le site du Cercle Zététique. Il y défend l’idée que les deux enfants auraient très bien pu être influencés, à l’époque de leur observation, par le contexte soucoupique de l’été 1967. En particulier, quelques semaines avant l’observation de Cussac, des enfants d’Arc-sous-Cicon, dans le Doubs, avaient raconté avoir aperçu quatre petits êtres revêtus de combinaisons noires moulantes, que la presse baptisa rapidement “des Martiens”. Aucune sphère mentionnée alors, mais l’histoire avait rencontré un large écho dans la presse. Pour Erick Maillot, l’observation est donc probablement une méprise, travestie par contamination soucoupique (soit des enfants eux-mêmes, soit de leur entourage au moment où ils rapportèrent leur observation).

A (au moins) 80 mètres de distance, les deux enfants auront confondu un hélicoptère reflétant le Soleil avec une “sphère” volante. Le Soleil se trouvait effectivement exactement dans le dos des deux témoins, la surface en “bulle” du cockpit de l’engin aura agi comme un miroir. Il donne plusieurs exemples d’hélicoptères susceptibles d’être la cause de la méprise (l’Alouette, le Bell47G…). Mais pourquoi un arrêt si rapide de l’engin ? Maillot considère plusieurs explications “plausibles” : récupération d’un ballon-sonde par un hélicoptère de la gendarmerie, une envie pressente d’un membre de l’équipage, une prospection archéologique aérienne, un appareil de l’Aviation Légère de l’Armée de Terre (ALAT), etc. Précisons que les gendarmes, à l’époque des faits, avaient penché pour un appareil de l’ALAT. L’information provient d’une lettre de Jean-Jacques Vélasco lui-même à Erick Maillot, dans un courrier de 1996.

Sur son site consacré aux ovnis, l’ingénieur et informaticien A. Delmon publie une critique de la critique d’Erick Maillot, lequel exige un droit de réponse, qui sera suivi de nouveaux commentaires d’A. Delmon. Le débat n’est pas des plus sereins (comme souvent). La critique de Delmon porte entre autres sur l’improbabilité d’une explication par un hélicoptère. Selon A. Delmon, la distance du plateau de Cussac de l’aérodrome le plus proche est de 160 km. Un hélicoptère Alouette ou Bell de l’époque, transportant 4 personnes, ne pouvait pas avoir l’autonomie nécessaire pour effectuer un aller-retour de 320 km. (Mais il y a pourtant des aérodromes plus proches : Aurillac, à 50 km de Cussac, Clermont-Ferrand et Rodez à moins de 100 km [1]).

  • La discussion entre E. Maillot et A. Delmon est disponible sur le site de ce dernier, sous le titre, “Les ovnis, mythe ou réalité ?” (rubrique “Débats”).

Sur son site personnel, récemment ouvert, le Dr. Claude Poher consacre un long article au cas de Cussac. Il réfute l’hypothèse défendue par Erick Maillot d’un hélicoptère, en ne retenant pour sa démonstration que l’hypothèse de “l’arrêt pipi” (sans doute la plus facile à ridiculiser). Poher considère en outre que les enfants de Cussac étaient bien trop isolés, dans leur petit village perdu, pour avoir été contaminés par l’actualité ufologique du moment(voir ci-dessous), et il fournit enfin des précisions sur les méthodes employées en 1978 par le GEPAN lors de son enquête sur place (et notamment sur l’utilisation d’une grille de classement des observations, qui excluait l’hélicoptère comme solution).

On apprend aussi que François avait déclaré, lors de l’enquête du GEPAN en 1978, avoir entendu et senti “un sifflement plus un souffle, comme un canot à moteur au démarrage” quand la sphère quittait le sol. A propos de cette phase de décollage, Poher insiste particulièrement sur le mouvement de l’objet, qui se serait élevé du sol en spirale ascendante (cinq ou six tours de plus en plus larges) avant de disparaître très rapidement, à grande vitesse. Cette partie du témoignage des enfants, contenue dans le rapport GEPAN 1978, n’avait jamais été rendue publique. D’autre part, les deux enfants n’ont pas identifié l’odeur sentie au moment du départ de la sphère avec celle d’échantillons de kérosène, utilisé par les hélicoptères. Enfin, pour François, la sphère fut “aussi lumineuse que le Soleil à midi” au moment de sa disparition. Pour Poher, tous ces éléments permettent d’exclure l’hypothèse hélicoptère. L’article se clôt sur une longue digression à propos de la théorie des “universons”, défendue par Poher.

En juillet 2004, sur la liste Aleph, l’ufologue Robert Alessandri (site Univers-Ovni) recense quelques quotidiens, ainsi que des radios, ayant traité de l’affaire d’Arc-sous-Cicon, cet été 1967. Il semble bien que cette petite histoire avait bénéficié d’un traitement médiatique important, suffisant peut-être pour atteindre le petit village de Cussac. Alessandri donne le texte complet d’une dépêche de l’époque, qui mentionne notamment : “quatre petits êtres tout noirs, de la taille d’un enfant de trois ans, se sont enfuis au ras du sol à une vitesse incroyable en direction du bois où ils ont disparu”. La ressemblance avec le témoignage de Cussac, quelques semaines plus tard, est en effet bien troublante (même nombre de personnages, même apparence, mêmes proportions). Mais qu’en est-il de la “sphère” observée à Cussac, qu’on ne retrouve pas à Arc-sous-Cicon ?

La nuit du 18 juillet 1967, juste avant l’observation d’Arc-sous-Cicon, un bolide lumineux avait traversé le ciel français depuis le nord-ouest jusqu’au sud-est, vers 1h du matin, et avait été aperçu par de nombreux témoins tout au long de son parcours. La presse de l’époque avait largement médiatisé cette affaire d’ovni, qui se révéla être finalement un étage de fusée rentrant dans l’atmosphère après avoir largué le satellite Cosmos 169. Mais pendant plusieurs semaines, l’incertitude a régné sur l’identité du mystérieux bolide. En outre, Joél Mesnard avait consacré un article à cette observation dans Phénomènes Spatiaux, en listant les observations qui semblaient “aberrantes” (sous-entendant par là que de véritables ovnis avaient peut-être profité de l’occasion pour évoluer discrètement dans les cieux) [2].

Il y a donc eu, fin juillet 1967, à la fois une histoire de petits hommes à combinaisons noires présentés comme étant des Martiens, et une histoire d’ovni lumineux et nocturne, paradant dans le ciel français. La couverture médiatique incluait notamment des reportages à la télévision (ORTF) mais aussi sur les ondes radio. Le village de Cussac, aussi petit soit-il, aurait-il vraiment pu être épargné par l’effervescence du moment ? Voilà sans doute un point crucial du dossier Cussac. On peut tout à fait considérer qu’à l’époque, les habitants de Cussac n’avaient pas la télévision… mais la radio ? Et le bouche à oreille n’aurait-il pas été suffisant pour amener ces informations sensationnelles jusqu’aux portes du petit village ? Entre l’effervescence due à la rentrée atmosphérique et aux petits hommes d’Arc-sous-Cicon, et l’observation de Cussac, il se passe un peu plus de 4 semaines. Pendant ce laps de temps, les habitants de Cussac n’ont sans doute pas vécu en vase clos, sans jamais rencontrer personne d’extérieur au village. Si c’est bien le cas, François et Anne-Marie (13 ans et 9 ans au moment des faits), n’ont-ils pas pu être influencés par ses histoires ?

Pour R. Alessandri, “Poher évacue tout de même un peu vite la similitude notée par Éric [Maillot] entre ce cas et celui d’Arc-sous-Cicon un mois auparavant.” Contribution de Robert Alessandri disponible sur une page des archives de la liste Aleph.

Cette page sera certainement amenée à être complétée à l’avenir. Ne serait-ce que parce qu’il faudrat bien, un jour ou l’autre, que le rapport du GEPAN de 1978 sur ce cas puisse enfin être rendu public (après avoir été banalisé, bien entendu). Pour ce qui est de mon opinion personnelle (pour peu qu’elle intéresse quelqu’un !), je me trouve bien incapable, actuellement, de me prononcer de manière définitive. Les enfants de Cussac auraient-ils vu un hélicoptère, à au moins 80 m de distance, et derrière une haie ? Ou bien un vaisseau extraterrestre en vadrouille ? Ou quelque chose d’autre ? Il y a tout de même de éléments “génants” dans cette affaire : l’enquête du GEPAN ne sera effectuée que 10 ans après les faits ; l’observation ne dura que 30 secondes au mieux, et peut-être moins ; la “contamination médiatique” des acteurs n’est pas à exclure étant donné l’actualité “soucoupique” qui précéda l’observation ; au moment de l’observation, à 10h30 du matin, les deux enfants avaient le Soleil dans leur dos : ses rayons auraient-ils pu être réfléchis à la surface de l’engin de manière suffisamment intense pour les aveugler ? De plus, la haie, juste devant la “sphère”, a certainement dû projeter son ombre sur les quatre silhouettes et sur l’appareil, rendant leur identification par les enfants encore plus incertaine…

Bref, y’a encore du boulot pour y voir clair !

L’article de Phénomènes Spatiaux est proposé ici avec l’aimable autorisation de Francine Fouéré. [1] Informations fournies par Erick Maillot [2] Merci à Robert Alessandri pour m’avoir communiqué l’article en question

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  • de Grégory Gutierez