Inauguration du NUMA : du franglais et des marques à tous les étages

Publié le 13 novembre 2013 sur mon espace perso chez Mediapart.

Ce 14 novembre au soir, j’ai pu participer à l’inauguration du Numa à Paris, un nouveau lieu numérique (site web: http://www.numaparis.com/).

Imaginez une file d’attente tout le long d’une grande rue, comme une soirée de première d’un film très attendu, des grands spots jaunes sur le trottoir d’en face pour bien éclairer la façade, un attroupement et de la musique à l’extérieur, des gardes à l’entrée du lieu pour filtrer… Et notre ministre Fleur Pellerin venue constater la magnifique énergie entrepreneuriale de ce temple du web marketing. À l’intérieur, encore des grands spots jaunes, à chaque étage, ultra-agressifs, en plein dans ta gueule, sans doute pour bien éclairer chaque recoin de ce lieu improbable. Enfin pardon, chaque “corner”.

Parce qu’il y a du franglais partout, dans tous les coins justement. Du genre, “no shoes, merci” à côté du coin camping, avec herbe synthétique (non fumable) et gros fauteuils-poires, installé à l’étage “Accelerate” (dont le but est, selon la brochure de présentation, pardon, le flyer : “Faire émerger les leaders de demain”). Vraiment, le franglais est partout, par exemple voici les dénominations des 6 étages : Connect, Cowork, Experiment (divisé en “school-lab” et “data-shaker”), Accelerate, Communicate & Meet, Create. En fait, il s’agit surtout de grands espaces tout blancs avec des bureaux design et un coin cuisine. Mais bon, “salles de réunions” ou “laboratoire d’expérimentations”, c’était too much frenchy quoi.

Du franglais partout, et des grandes marques partout aussi. Par exemple trois grands panneaux façon “brainstorming” (avec inscriptions à la craie de couleur, flèches dans tous les sens et dessins rigolos) vantent notamment La Société Générale, Air Liquide ou encore Thalès. Pour cette dernière, est précisé “les objets communiquants comme aide au handicap” dans un joli nuage, avec un petit bonhomme sympa juste à côté, qui marche avec une canne (qu’essaie-t-on de nous dire ? Que Thalès fabrique des armes, puis vient en aide aux estropiés ?). Pour Air Liquide, on a droit à un bonhomme de neige qui dit “je crie ô génie !” (trop cool la blague !). Quant à la Société Générale, elle nous promet rien moins que “plus de liberté” grâce à tous ses services en ligne et son “passeport bancaire”. Chouette, on va pouvoir payer plein de choses, c’est ça, être “consomm’acteur” (le mot est écrit juste à côté du nuage Société Générale…).

Des start-ups sont présentes, c’est-à-dire qu’il y a des panneaux d’affichage avec leur logo et leur tagline et un descriptif rapide des services qu’elles proposent. À côté de ces panneaux, des jeunes gars et jeunes femmes à l’allure branchée (of course) qui attendent sans doute de se connect pour faire de l’experiment de cowork en accelerate avec nous. C’est super tentant.

Sur chaque marche de l’escalier, il y a un sticker avec le nom d’une des start-ups installées dans ce lieu. On n’a pas testé les W.C. mais je parie qu’il y aussi leurs noms sur chaque feuille de papier toilette.

J’ai eu l’impression d’une gigantesque opération de communication, essentiellement au bénéfice de grosses entreprises privées, mais financée tout de même par la ville de Paris, la région Ile-de-France, et aussi par Orange, BNP Paribas et Google for Entrepreneurs. Ah d’accord. C’est sûr, Thalès ou la Société Générale avaient bien besoin de redorer leur image, avec l’argent public récolté depuis les porte-monnaies des Parisien-ne-s et des banlieusard-e-s. C’est ça la gauche, façon PS.

Sérieusement, comment peut-on espérer travailler, développer un projet, créer vraiment des contacts, bref, “faire du business”, dans une telle ambiance ? La déco est très infantilisante, le coin “camping” par exemple (ouais, il s’appelle comme ça, parce que c’est fun), ressemble à une annexe de la maison enchantée des Télétubbies. Chaque étage est un grand openspace avec quelques objets vintage ici et là, des boîtes de bonbons en forme de nounours sur une étagère, un vieux téléphone orange à cadran rotatif sur un buffet (parce que c’est trop drôle, avant les gens ils utilisaient ces trucs, trop lol !), des casiers de lycée à l’américaine recouverts de tags le long d’un mur, etc. Avec toute cette déco, on pourrait ouvrir une super crèche pour les enfants des habitants du quartier. Mais c’est sûr, ç’aurait été moins hype.

Et au milieu de tout cela, parmi la foule, voilà soudain Fleur Pellerin, avec ses collaborateurs et quelques gardes du corps et deux ou trois photographes. Elle visite chaque étage, elle est dans son rôle, comme une prêtresse qui viendrait sacraliser ce temple de la tyrannie du cool et des marques. Mon Dieu, c’est ça, faire de la politique ? Sérieusement, c’est ça ?

Je quitte vite ce lieu décidément trop anxiogène, trop décérébrant, je retrouve des amis dans une brasserie du coin. On nous apporte la carte : je peux manger de la “finger food”, ou bien des “hamburgers vintage”.

Ah merde, ça s’est déjà étendu à tout le quartier alors ?


~~socialite~~

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  • de Grégory Gutierez